Restes humains

La découverte accidentelle de restes humains met en branle une série complexe d'exigences juridiques, en vertu de lois tant fédérales et provinciales. Les lois fédérales sont plus directes car elles sont axées sur un seul point, soit un geste criminel possible. Les lois provinciales, en revanche, portent sur une vaste gamme de sujets et peuvent donc sembler plus complexes. Cependant, après avoir passé en revue les types applicables de dispositions juridiques, il est possible d'établir des principes pratiques.

Toute découverte de restes humains doit être signalée à la police sur-le-champ.

Lois et règles fédérales

Quiconque commet outrage, indécence ou indignité envers des restes humains pose un geste criminel aux termes de l'article 182 du Code criminel61.

Lorsque des restes humains sont découverts accidentellement, il incombe à la police de déterminer si le site est :

  • le lieu d'un crime

  • ou autre chose (comme un lieu de sépulture non déclaré, mais non criminel, ou un site archéologique).

Dans ce dernier cas, les manuels des corps policiers indiquent aux agents de police de communiquer avec le service archéologique provincial ou territorial compétent. Lorsque la police détermine de façon sûre que le site est de nature archéologique, et alors seulement, les corps policiers tels que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) suivent des procédures précises.

Ainsi, le Manuel des opérations de la GRC indique que lorsqu'un squelette est d'origine ancienne, il importe de collaborer avec les anthropologues ou archéologues autorisés en vue de protéger les lieux62. (Voir l'encadré à la page 28.) Les règles de la Police provinciale de l'Ontario63, de la Sûreté du Québec64 et de la Royal Newfoundland Constabulary65 sont similaires. Parfois, les corps de police font plus que communiquer avec les responsables archéologiques, comme l'exigent les manuels susmentionnés :

  • par exemple, le manuel de la Police provinciale de l'Ontario précise que la police doit aussi communiquer avec la Première Nation la plus proche66

  • dans l'exemple le plus détaillé d'instructions supplémentaires écrites (Saskatchewan), la division F de la GRC précise que, en cas d'enquête sur des ossements signalés, il convient de solliciter l'aide d'un anthropologue judiciaire en communiquant avec les départements compétents des universités de la Saskatchewan67. Les instructions de la Saskatchewan précisent également les étapes suivantes, que les enquêteurs devraient suivre :

    • ne pas manipuler, marquer ou déplacer les ossements quels qu'ils soient, la terre environnante ou des objets étrangers se trouvant sur les lieux;

    • photographier, dessiner et mesurer le site;

    • s'il y a des signes que les ossements sont récents et que la mort n'est peut-être pas naturelle, ouvrir une enquête criminelle;

    • si les ossements sont d'intérêt historique, aider l'anthropologue à protéger le site contre le public afin d'éviter que des collectionneurs ne le vandalisent.

L'anthropologue prend possession des ossements et des artefacts. Il est également tenu de se conformer aux lois provinciales qui obligent à enregistrer le site et à manipuler convenablement les restes.

Législation provinciale

La législation provinciale est d'une plus grande portée. Voici un échantillonnage des types de lois qui peuvent exister, sous un nom ou sous un autre :

  • Les lois relatives au coroner s'appliquent habituellement aux restes humains, dans les cas où leur ancienneté n'est pas évidente. Habituellement, une loi sur les coroners spécifie qu'il faut faire enquête sur l'identité du cadavre, le moment et les circonstances du décès, etc. Ces lois précisent habituellement que les découvertes doivent être signalées au coroner et/ou à la police de l'endroit. « L'intervention d'un coroner peut être nécessaire lorsqu'on ne peut déterminer directement l'âge de la sépulture68. »

  • Les lois régissant la santé publique ou portant sur les « tissus humains » comportent habituellement des clauses sur l'inhumation, l'exhumation et le transport des cadavres. Normalement, il faut obtenir un permis ministériel pour exhumer et réinhumer un corps ou en disposer d'une autre façon. En revanche, d'habitude, « les autorités sanitaires ont fait savoir que, pour la majorité des sépultures à caractère archéologique, il ne serait pas nécessaire d'obtenir un permis d'exhumation en vertu de la Public Health Act69 ».

  • Ces permis ministériels peuvent aussi être exigés en vertu des lois sur les cimetières.

  • Il y a ensuite les lois relatives au patrimoine ou à l'archéologie. En Saskatchewan, par exemple, les restes humains qui datent d'avant 1700 apr. J.-C. doivent être remis au ministre chargé du patrimoine en vue de leur réinhumation après la tenue d'un examen scientifique; les restes humains qui datent d'après 1700 apr. J.-C. doivent être mis à la disposition de la bande indienne la plus proche du site de la découverte ou du ministre si les restes ne sont pas d'origine indienne.

De prime abord, les liens qui existent entre les lois fédérales et provinciales susmentionnées semblent créer un nombre quasi infini de combinaisons possibles. Dans la pratique, cependant, chaque administration a établi un scénario unique pour la gestion des découvertes et les rapports entre les autorités compétentes. Les provinces exposent rarement ce scénario dans des protocoles d'entente ou d'autres instruments du genre (sous des noms différents et avec des niveaux de spécificité variables), mais elles suivent toutes le même système de base. L'exemple reproduit ici (voir l'encadré à la page 29) est une illustration écrite méthodique de cette démarche type.

En bref, la police traite les lieux d'une découverte de l'une des deux façons suivantes : soit comme la scène d'une enquête criminelle, soit comme la scène d'une investigation archéologique. Dans ce dernier cas, des dispositions doivent être prises par l'entremise du ministère provincial ou territorial pour que des spécialistes effectuent les travaux nécessaires.

EXTRAITS DU MANUEL DES OPÉRATIONS DE LA GRC, CHAPITRE II.10
C. POLITIQUE

C. 1. Tout décès qui survient sur le territoire desservi par la GRC doit faire l'objet d'une enquête de concert avec le médecin légiste, le coroner, le pathologiste et les autres organismes d'application de la loi.

C. 2. Un membre de la GRC informe le médecin légiste ou le coroner provincial ou territorial de tout décès qui survient sur le territoire desservi par la GRC, conformément aux exigences provinciales ou territoriales.

K. IDENTIFICATION DES SQUELETTES ET DES CADAVRES EN ÉTAT DE PUTRÉFACTION

K. 2. Si le squelette est d'origine ancienne, apporter son aide aux anthropologues ou aux archéologues autorisés et protéger les lieux. Consulter les directives divisionnaires.

EXTRAITS DU MANUEL DES OPÉRATIONS DIVISIONNAIRE DE LA GRC (DIVISION F, SASKATCHEWAN), CHAPITRE II.10
H. ENQUÊTE

H. 1. Restes humains

H.1 b. Anthropologie

  1. Lorsqu'on trouve des ossements et/ou de la chair en décomposition, un anthropologue peut aider les enquêteurs à déterminer :

    1. si les restes en question sont humains ou non;

    2. s'ils sont humains, le temps approximatif qui s'est écoulé depuis la mort;

    3. des caractéristiques permettant l'identification, comme le sexe, l'âge, la taille et l'origine raciale;

    4. la source de toute perturbation des restes avant et après le décès.

  2. Enquêteur

    1. Lorsque l'on enquête sur des ossements trouvés, solliciter l'aide d'un anthropologue judiciaire en communiquant avec (agents de la GRC désignés à North Battleford ou Regina).

    2. Ne pas manipuler, marquer ou déplacer quelque ossement que ce soit, la terre environnante ou des objets étrangers se trouvant sur les lieux.

    3. S'il y a des signes que les ossements sont récents et que la mort n'était peut-être pasnaturelle, lancer une enquête criminelle.

    4. Si les ossements sont historiques, les anthropologues en prennent possession, ainsi que des artefacts, et se conforment à toutes les lois provinciales qui obligent à consigner le site et à manipuler convenablement les restes.

H. 1. b2. 5. Les sites historiques sont protégés par la loi provinciale sur les biens patrimoniaux.

Lorsqu'on soupçonne qu'un site est de nature historique, solliciter l'aide d'un archéologue provincial en s'adressant à la — Direction générale du patrimoine Gestion des ressources archéologiques.

Exemple : Protocole régissant la découverte accidentelle de restes humains — Gouvernement du Nouveau-Brunswick (traduction non officielle)

Le protocole classe les découvertes de restes humains en trois catégories :

  • les restes archéologiques,

  • les cimetières et les concessions familiales datant du XXe siècle (y compris les restes humains inhumés dans des cimetières et des concessions familiales négligées et envahies par la végétation, datant du début du XXe siècle),

  • les preuves légales (tous les autres restes humains qui sont découverts doivent être traités comme des preuves légales possibles, associées à un acte criminel et traitées comme telles). légales (tous les autres restes humains qui sont découverts doivent être traités comme des preuves légales possibles, associées à un acte criminel et traitées comme telles).

Le protocole précise ensuite que la GRC est l'organisme responsable. Celle-ci décide donc des measures à prendre. En temps utile, les autres parties en cause peuvent être le Bureau du coroner, les Services archéologiques ou le Bureau du médecin légiste en chef, mais c'est à la GRC qu'il incombe de prendre cette décision.

Le déroulement des événements précisé dans le protocole, en cas de découverte de restes humains, est le suivant.

  • Suspendre toutes les activités. À moins d'indication contraire, les restes doivent être traités comme des éléments de preuve dans une enquête criminelle. Par exemple, si des restes sont découverts dans le godet d'une machine d'équipement lourd, celui-ci ne doit pas être vidé car cela pourrait détruire des preuves matérielles.

  • Protéger la zone. La zone doit être désignée immédiatement comme interdite à tout le personnel et les membres du public. Suivant les conditions atmosphériques et d'autres situations, les restes humains découverts doivent être protégés de manière non intrusive, par exemple en les recouvrant d'une pièce de tissu ou d'une bâche en toile (de préférence pas en plastique).

  • Informer la GRC. Le détachement le plus proche de la GRC doit être informé sans délai de la situation. La GRC décide s'il y a lieu de faire appel au coroner ou aux Services archéologiques.

La prochaine étape se déroule comme suit.

  • Si l'enquête conclut que le site est lié à un crime, les spécialistes de la GRC en informent le coroner, recueillent les données nécessaires et enlèvent les restes.

  • Si la GRC juge que la situation n'est pas de nature criminelle, les Services archéologiques sont consultés pour déterminer la voie à suivre.

  • Si les Services archéologiques déterminent que les restes humains ne sont pas de nature archéologique, mais doivent quand même être enlevés, un certificat de déplacement doit être obtenu du Bureau du coroner et du médecin légiste en chef.

  • Il est possible que l'on procède à des recherches pour déterminer s'il existe des parents vivants. Le cas échéant, une sépulture appropriée doit être trouvée et les dispositions nécessaires doivent être prises en vue de la réinhumation des restes.

  • Les travaux ne peuvent reprendre aux alentours du lieu de la découverte qu'après que les services et les organismes en cause en ont donné l'autorisation.
Autres pratiques recommandées

Le rapport intitulé Le patrimoine archéologique de compétence fédérale — Protection et gestion, conclut que, lorsqu'on négocie, au cas par cas, l'exhumation de restes physiques humains avec les Autochtones ou d'autres groupes intéressés, il est rare que ceux-ci s'y opposent70. Cela ne veut pas dire que l'on peut faire abstraction des sentiments ou de l'opinion de quelque groupe que ce soit. Ainsi qu'il est dit dans un rapport spécialisé : Les peuples autochtones de l'Amérique du Nord ont des opinions qui diffèrent au sujet des fouilles relatives aux sépultures, ainsi que de leur étude et des dispositions à prendre, ou ne partagent pas des opinions communes avec la même intensité.

  • Certains groupes préfèrent que les fouilles soient exécutées par du personnel qualifié (y compris des membres étrangers à la tribu) et que les objets soient conservés dans un musée.

  • D'autres ne tolèrent les fouilles que dans les cas où les sépultures sont inévitablement menacées.

  • D'autres encore s'opposent à ce que l'on perturbe de quelque façon les restes humains, et cela comprend les fouilles, les analyses et les mises en réserve.

  • Enfin, quelques groupes opposés à une conservation de longue durée et mettant en doute la valeur sociale de l'étude des restes humains veulent que l'on procède sans délai à la réinhumation des restes découverts, ce qui empêche donc de procéder à des analyses scientifiques.

Par contre, la plupart des associations professionnelles d'anthropologie physique et d'archéologie de l'Amérique du Nord souscrivent à l'exhumation et à l'analyse des sépultures. Elles mettent aussi en question la réinhumation systématique des restes humains, sauf dans les cas où une descendance directe est établie, comme le font diverses entités médicales et paléologiques, divers musées et d'autres associations. Les scientifiques, quant à eux, soutiennent généralement que les avantages que retire la société de l'étude scientifique des restes humains anciens l'emportent sur les intérêts de quelques groupes contemporains. Le désaccord entourant le traitement et la disposition des restes ancestraux que mettent au jour les archéologues s'est intensifié ces dernières années, et cette situation a aggravé les malentendus entre les groupes intéressés71.

S'il est impossible d'éliminer tout à fait le risque de malentendus, celui-ci peut néanmoins être atténué par des consultations appropriées. Il s'agit là d'un domaine dans lequel, depuis quelques années, la profession d'archéologue joue un rôle de plus en plus évident. Il devient donc fréquent que l'on confie à des archéologues la tâche de procéder à ces consultations dans le cadre de leur projet archéologique général, qu'il s'agisse d'un projet de recherche ou de prospection, ou de la suite donnée à une découverte fortuite.

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