L'histoire d'une baleinière basque du XVIe siècle
Lieu historique national de Red Bay
©Parks Canada
Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, l'huile de baleine était une denrée rare très prisée parce qu'elle produisait une flamme plus brillante que celle des huiles végétales plus répandues. Elle servait également à la fabrication de savon et de produits pharmaceutiques et au traitement des tissus. Vers le milieu du XVIe siècle, les pêcheurs européens obtenaient cette denrée précieuse en exploitant les richesses marines du détroit de Belle-Isle. Les commerçants basques et les armateurs français et espagnols organisaient des expéditions saisonnières à destination de la côte sud du Labrador et de la côte nord du Québec, pour chasser la baleine servant entre autres à la production d'huile. Les bateaux accostaient à Butus, maintenant appelé Red Bay. Recherches dans les archives et fouilles archéologiques ont révélé la présence d'une industrie bien structurée et sans précédent au Canada.
Archéologie
Les fouilles sous-marines ont commencé en 1978 et, au cours des six années suivantes, le projet Red Bayest devenu un des plus vastes projets d'archéologie sous-marine jamais entrepris au Canada. La découverte de trois galions basques et de quatre petites embarcations pour la chasse à la baleine en a fait un des sites archéologiques sous-marins les plus précieux des Amériques. Une de ces embarcations, une chalupa de 8 mètres, était coincée sous le côté tribord écroulé d'une baleinière de 200 tonelada . On a dégagé la chalupa pour en faire une description minutieuse avant de la démonter, de la sortir de l'eau, de la conserver et de l'assembler. Ces vestiges vieux de plus de 400 ans ont une grande valeur pour les raisons suivantes :
- état de préservation exceptionnel des éléments typiquement basques - conception, travail et matériaux des bateaux construits pour l'industrie de la chasse à la baleine;
- représentatif d'un tournant important de la conception, de la construction et de l'assemblage des bateaux du XVIe siècle;
- rôle essentiel des chalupas pendant la chasse à la baleine (poursuite, mise à mort et remorquage);
- représentatif, avec les autres petits bateaux, de l'ampleur et de la complexité du soutien dont avaient besoin les stations de dépeçage.
L'étude de la chalupa a permis d'étoffer les connaissances sur les baleiniers basques du Labrador. La création du lieu historique national de Red Bay reconnaît la valeur historique de la chalupa et sa contribution au réseau des lieux historiques nationaux du Canada. Le 1er juillet 1998, cette embarcation extraordinaire fut retournée à Red Bay où elle est exposée en permanence au nouveau centre d'accueil du LHN de Red Bay.
Conservation
Les archéologues sous-marins ont consigné tous les renseignements sur les objets mis au jour, puis les restaurateurs du lieu se sont mis à l'oeuvre. Tous les objets ont été entreposés au laboratoire de chantier jusqu'à la fin de la saison des fouilles. À l'automne, les objets ont été emballés et envoyés au laboratoire principal, à Ottawa.
Les restaurateurs d'Ottawa ont utilisé les techniques en usage dans tous les laboratoires de conservation du monde pour préserver la plupart des pièces de bois gorgées d'eau, à savoir :
- on remplit une demande de restauration pour chaque objet dès son arrivée au laboratoire, puis on l'inscrit au système de repérage des objets.;
- chaque objet est décrit dans un rapport, puis photographié ou dessiné;
- on rédige une proposition de traitement qui doit être approuvée;
- on nettoie la surface du bois à l'aide de brosses à soies souples et d'outils pour soins dentaires; les caractéristiques inhabituelles ou les marques d'outil découvertes pendant le nettoyage sont consignées et signalées à l'archéologue;
- une fois l'objet nettoyé, on remplace l'eau qui s'était infiltrée dans le bois par une cire appelée polyéthylène glycol (P.E.G.). Le bois a absorbé le P.E.G. lentement parce que les objets ont trempé plusieurs années dans un mélange de cire dissoute dans l'eau. Le P.E.G. a empêché le fendillement du bois pendant le séchage.
- Pour assécher le bois, on utilise un appareil de lyophilisation sous vide qui retire l'eau des objets congelés, limitant ainsi le rétrécissement pendant le séchage. Ce même procédé est employé pour produire des aliments ou du café lyophilisé (séchés à froid).
- Notre appareil de lyophilisation sous vide est trop petit pour les bordages plus longs. Ils ont été laissés à l'air libre dans notre congélateur-chambre pendant 18 mois, ce qui a asséché la surface du bois. On dit de la viande gardée dans des congélateurs domestiques qui subit ce traitement qu'elle est « brûlée » par la congélation.
- On pèse les objets pendant le séchage et, lorsque le poids reste stable, on conclue que le séchage est terminé.
- On range le bois séché dans un laboratoire à un taux d'humidité relative de 50 p. cent, qui convient le mieux aux matières organiques comme le bois.
- On brosse la surface et on y passe l'aspirateur. Les surfaces fragiles sont consolidées à l'aide d'une solution de colle blanche diluée. Les fragments qui se sont détachés pendant le traitement sont recollés.
À cette étape, la quille, les membrures, les bordages, les bancs de nage et les plats bords sont prêts à être assemblés pour former un bateau presque intact.
Remontage
Le « remontage » d'un bateau fouillé archéologiquement se veut l'étape finale d'un long processus de « reconstruction » amorcé sur le terrain, dès l'apparition sous le sédiment des premières pièces de structure. La numérotation soignée, l'enregistrement et le positionnement précis d'un élément par rapport à un autre sont cruciaux pour les analyses et interprétation ultérieures. Les plans, photos, dessins des pièces et les catalogues qui relient toutes ces données ensemble deviennent les outils de référence principaux aux étapes intermédiaires de la reconstruction. En créant des dessins composites, des tableaux, et même des maquettes de bois, les archéologues peuvent établir la relation entre les pièces et se faire une idée de la forme originale du bateau. Dans la plupart des cas, la reconstruction de navire s'arrête ici. Toutefois, dans celui de la chalupa de Red Bay, on dispose de l'occasion rare de remonter les pièces de structure originales. On doit redonner leur forme à ces pièces pour ensuite les fixer avec soin. L'équipe de ré-assemblage suit donc dans les traces des anciens constructeurs basques tout en utilisant également des méthodes entièrement différentes. Non seulement le résultat est-il une exposition merveilleuse, mais le processus permet à l'analyse d'être portée à son niveau ultime.
Quelques éléments de la chalupa à regarder...
- L'extrémité la plus élevée de l'embarcation est la proue (devant). À noter le trou pratiqué dans l'étrave (pièce verticale de la proue) pour une corde d'amarrage.
- Les trous verticaux dans les fragments de plat-bord (pièce de structure courant le long du sommet des flancs) montrent l'emplacement des tolets en bois qui tenaient les rames. Celui près de la poupe (l'arrière) recevait la rame pour gouverner.
- Les deux planches supérieures se chevauchent (à clin) tandis que les planches inférieures ont nivelées (à franc-bord). Ceci nous indique que les constructeurs basques ont su profiter des deux traditions européennes de construction navale, celle du nord (à clin) et celle du sud (à franc-bord), dans un mélange qui était encore utilisé dans les embarcations de chasse à la baleine du XIXe siècle construites des deux cotés de l'Atlantique.
- Il y a sept bancs de nage (sièges qui servaient également de renforts) dans le bateau, le même nombre inscrit sur la planche gravée.
- L' emplanture principale est le bloc de bois près du centre de l'embarcation muni d'une ouverture carrée dans laquelle le mât s'emboîtait. Le banc de nage situé juste au-dessus sert aussi d' étambrai de mât supportant le mât verticalement.
- On retrouve des trous sur la planche supérieure. Ils servent de conduits à travers lesquels passaient les écoutes (cordes fixées au bas des voiles). Les trous sont en fait des trous de noeud du bois utilisés à cause de leur résistance naturelle.
- Les pièces de structure courant d'un côté à l'autre s'appellent des membrures; la partie de chaque membrure qui croise la quille (la grosse pièce qui court de l'avant à l'arrière) s'appelle la varangue et celles qui courbent vers le haut de chaque côté, les allonges. Ces pièces n'étaient pas façonnées, mais prélevées à même des arbres de la forme voulue.
- À l'origine, les fixations du navire étaient des clous de fer forgé, souvent rabattus pour travailler comme des chevilles. Nous avons utilisé des chevilles de laiton peintes en noir. Une des extrémités est modifiée pour imiter la pointe rabattue d'un clou, l'autre est chapeautée d'une « tête de clou » en cire.
Liens connexes
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