Culture

Lieu historique national Bloody Creek

En 1932, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada a érigé une plaque afin de souligner l’importance historique nationale de deux affrontements militaires dans la région de Bloody Creek. Voici le texte figurant sur la plaque : 

Commémoration des deux batailles entre les garnisons britanniques d’Annapolis Royal, les alliés français et les autochtones durant le demi-siècle de conflit pour la possession de l’Acadie : sur la rive nord de la rivière Annapolis, le 10 juin 1711; et ici même, le 8 décembre 1757.

10 juin 1711

La première bataille a lieu le 10 juin 1711 (le 21 juin selon le calendrier actuel) durant une période de tension entre la garnison stationnée au fort d’Annapolis Royal (anciennement Port Royal), en Nouvelle Écosse, et les Acadiens de la région. Huit mois auparavant, en octobre 1710, des forces de la Grande Bretagne et de la Nouvelle Angleterre avaient pris possession du fort, et par le fait même, de Port Royal, la capitale de l’Acadie. Une garnison temporaire de 450 hommes, composée de troupes britanniques et de Nouvelle Angleterre, est demeurée au fort durant l’hiver.

Les relations entre les administrateurs et la garnison britanniques occupant le fort et les Acadiens vivant aux abords de la rivière Annapolis sont tendus durant l’hiver 1710 1711. La Grande-Bretagne et la France s’opposent toujours dans la guerre de succession d’Espagne. Seule la superficie dans un rayon de trois milles du fort a été cédée avec le fort, ce qui laisse les Acadiens à l’extérieur de la zone désignée dans une posture ambiguë. Il est plus que probable que les Français regagnent le fort, soit par la force ou par un traité de paix; la Grande Bretagne a rendu le fort à la France à la conclusion de certaines guerres précédentes.

Pour dissuader les Acadiens de venir en aide aux garnisons britanniques, Philippe de Rigaud de Vaudreuil, gouverneur général de la Nouvelle France, a nommé Bernard Anselme d’Abbadie de Saint Castin à titre de commandant des Premières Nations et des forces françaises et lui a donné plus d’autorité en le nommant officier des Compagnies franches, les troupes ayant servi dans les colonies françaises . Malgré son jeune âge, Saint Castin est un commandant expérimenté, respecté des Abénaquis dans le Maine actuel et connaît bien l’ancienne région de Port Royal. Saint Castin et les guerriers autochtones, surtout des Abénaquis et des Malécites, passent l’hiver 1710 1711 dans la région d’Annapolis Royal à lancer des attaques contre le fort et à menacer les Acadiens collaborant avec les Britanniques.

L’approvisionnement en matériaux de construction pour réparer les fortifications devient un problème sérieux. Au printemps 1711, le fort est en mauvais état et présente de larges brèches dans les remparts. Alexander Forbes, ingénieur du fort, demande aux Acadiens vivant aux abords de la rivière de fournir 2000 perches et 400 poutres pour combler les brèches et pour recouvrir les parois du fort. Certains Acadiens acceptent de collaborer tandis que d’autres refusent, notamment les Acadiens vivant en amont de la rivière. Coincés entre les demandes émanant du fort, les menaces de représailles des guerriers autochtones et l’excommunication de l’Église catholique, les Acadiens se trouvent en bien mauvaise posture. Les guerriers autochtones, et possiblement certains Acadiens parmi les plus récalcitrants, libèrent les billots de bois disposés en radeau avant qu’ils ne parviennent au fort. L’approvisionnement en bois diminue. Les dirigeants du fort envoient ensuite des troupes à la rencontre des Acadiens vivant en amont; ainsi, l’approvisionnement reprend puis ralentit à nouveau. Les dirigeants décident alors d’envoyer un autre détachement. 

Le 10 juin (le 21 juin selon le calendrier actuel), le Capitaine David Pidgeon mène un détachement de quelque 70 soldats en amont de la rivière, ainsi que Forbes (l’ingénieur) et une vingtaine de volontaires, dont le Capitaine John Bartlet, commandant du détachement précédent et major du fort. Le détachement se veut un moyen de forcer les Acadiens récalcitrants à se plier aux ordres des Britanniques de leur fournir du bois. Les ordres de Pidgeon sont les suivants : menacer les fournisseurs acadiens et tuer quelques hommes récalcitrants, au besoin, plutôt que de payer une compensation.

L’expédition remonte la rivière à bord d’une baleinière et de deux plates. Au moment où la baleinière transportant l’ingénieur, le major du fort et les autres atteint une courbe étroite en amont de la rivière, les guerriers autochtones passent à l’attaque. Tous les hommes à bord de la baleinière sont tués, sauf un, tandis que ceux à bord des deux plates sont tués, blessés ou fait prisonniers. Les blessés sont échangés contre des rançons tandis que les prisonniers entreprennent un long périple vers Québec.

Le groupe d’assaillants se composait essentiellement d’une quarantaine d’Abénaquis et de leur commandant Simhouret, tous récemment arrivés de Pentagouët (maintenant Castine, dans le Maine), et mis en place par Saint Castin. Les Britanniques ont cru qu’il s’agissait de 150 guerriers. Certains des soldats blessés affirment que des Français, déguisés en guerriers autochtones, ont pris part à la bataille. Il semblerait qu’aucun Acadien n’y ait pris part.

Père Antoine Gaulin, missionnaire auprès des Abénaquis, présente une version alarmante des événements. Il affirme que le détachement britannique avait planifié d’attaquer les familles Mi=kmaq vivant en amont de la rivière, de déporter la majorité des habitants français et de mettre le feu aux établissements en amont . La menace posée par les hommes de Pidgeon et leur défaite poussent la résistance acadienne à se mobiliser contre les troupes de Grande-Bretagne et de Nouvelle Angleterre occupant le fort, ce qui entraîne une augmentation des tensions durant plusieurs semaines, lesquelles s’écoulent sans incident majeur.

8 décembre 1757

La deuxième bataille commémorée par la plaque de Bloody Creek a lieu le 8 décembre 1757 durant une autre période de tension entre les Acadiens et les administrateurs et la garnison occupant le fort d’Annapolis Royal. En 1755, le gouvernement de la Nouvelle Écosse avait déporté les Acadiens d’Annapolis Royal et d’autres établissements acadiens d’importance. Les Acadiens ayant réussi à fuir lors de la déportation forment des groupes de résistance. Ceux-ci gardent la garnison confinée au fort, qui n’est pas en mesure de s’aventurer en dehors de la ville sans un détachement de couverture. C’était particulièrement le cas lorsque le 43e régiment, un régiment britannique connaissant peu la Nouvelle Écosse, est placé en garnison en octobre 1757. 

La bataille de Bloody Creek du 8 décembre est précipitée par l’assaut, deux jours auparavant, d’un groupe envoyé de l’autre côté de la rivière Annapolis pour couper du bois de chauffage. Un petit groupe de miliciens français tue un grenadier et fait prisonniers plusieurs hommes, dont John Eason, maître charpentier du fort. Un détachement envoyé à la rescousse de ce dernier rentre bredouille. Ajoutant l’insulte à l’injure, les assaillants reviennent et raillent le fort en tirant du mousquet en un victorieux « feu de jeu ». Un détachement de plus grande envergure est ensuite organisé et envoyé en mission le soir même.

Le détachement était composé de deux capitaines, deux lieutenants, deux enseignes, quatre sergents, deux tambours et 100 soldats, soutenu par une vingtaine de volontaires du fort et de la ville et dirigé par des hommes de la région, dont John Dyson, magasinier de l’artillerie. John Knox, un lieutenant du 43e régiment, donne un compte rendu de première main dans son journal . L’objectif de ce détachement était de libérer les prisonniers et « de donner une bonne leçon aux canailles pour leur insolence » .

Le détachement britannique parcourt le côté sud de la rivière Annapolis, à la recherche d’un point pour traverser sur l’autre rive, là où les Acadiens et les prisonniers se trouvaient. Après deux nuits et un jour d’exposition au froid et trois tentatives échouées de traverser la rivière, le détachement rebrousse chemin en direction du fort. Le matin du 8 décembre vers onze heures, au moment de traverser le pont étroit de rondins sur la rivière René Forêt (maintenant Bloody Creek), les Britanniques subissent l’assaut des forces françaises et l’officier de commandement est tué. Après un moment de confusion et des cris de retraite, les derniers hommes parviennent à traverser le pont pour ensuite faire face aux tirs de batterie de fortune de l’autre côté. Les assaillants fuient ensuite, poursuivis brièvement par les soldats. Craignant une nouvelle attaque plus en avant, les Britanniques battent en retraite vers Annapolis Royal en laissant derrière la plupart des soldats morts et blessés. Knox évalue les pertes humaines au Capitaine Peter Pigou (le commandant du détachement), à un sergent et à 22 soldats.

Sept mois plus tard, en juillet 1758, certains prisonniers du groupe parti couper du bois, ayant réussi à s’échapper de leurs ravisseurs, se rendent au Fort Cumberland, sur l’isthme de Chignectou. Une lettre d’un officier du fort donne une description détaillée des assauts, tels que rapportés par les prisonniers . Ils affirment que le 6 décembre, les assaillants étaient une quinzaine tandis que le 8 décembre, ils étaient environ 56. Ce dernier groupe était en fait dans la région à la recherche de bétail et de provisions. Après avoir tendu une embuscade au détachement qui se trouvait en grande infériorité numérique, l’« ennemi » a continué à se battre, encouragé par les cris apeurés de retraite. Selon les prisonniers, sept des assaillants ont été tués et neuf, blessés. L’officier affirme qu’aucun des blessés laissés derrière par les Britanniques n’ont été fait prisonniers et qu’ils ont apparemment été tués. William Johnson (Guillaume Jeanson), dont le père était dans la garnison britannique d’Annapolis Royal et dont la mère était acadienne, agissait apparemment à titre de chef des assaillants.

Apprenez plus : Commission des lieux et monuments historiques du Canada

Liens connexes

Date de modification :