Une vie secrète dans le lac le plus au nord du Canada

La recherche du Dr Warwick Vincent sur les biofilms dans le parc national Quttinirpaaq démontre l’ampleur des changements climatiques dans l’Arctique.


Le fond du lac Ward Hunt, une étendue d’eau douce située à environ 750 kilomètres du pôle Nord, abrite un monde secret d’une couleur orange vif.

Les biofilms (ou tapis microbiens) orangés tapissant le lit du lac témoignent des changements touchant le climat. « Le lac constitue un modèle de ce qui est en train de se produire dans de nombreuses régions de l’Arctique », a indiqué le Dr Warwick Vincent de l’Université Laval.

Ce dernier se rend à l’île Ward Hunt du parc national Quttinirpaaq depuis 1998. Professeur et titulaire d’une chaire de recherche au département de biologie et au Centre d’études nordiques de l’Université Laval, le Dr Vincent a pu suivre de près les changements climatiques.

Un changement en particulier a attiré son attention : quelle que soit la période de l’année, le lac Ward Hunt ne gèle plus jusqu’au fond.

Par conséquent, les biofilms orangés sont en activité en toute saison, ce qui est un symptôme des changements climatiques, et un facteur pouvant contribuer à ceux-ci.

Un changement de régime dans l’Arctique

Tous les modèles indiquent que les changements climatiques les plus importants et les plus rapides surviendront au niveau des latitudes nordiques. Nous avons en effet constaté quelques changements spectaculaires. Une grande partie du paysage arctique est caractérisé par la glace. Toutefois, nous avons vu des lacs qui étaient gelés depuis des milliers d’années se métamorphoser soudainement en étendues d’eaux libres. 

Dr. Warwick Vincent
Titulaire d’une chaire de recherche au département de biologie et au Centre d’études nordiques de l’Université Laval

 

Le Dr. Warwick Vincent

On croyait auparavant que les lacs arctiques gelaient en entier lors des longues nuits d’hiver. Lorsque l’étendue d’eau est complètement gelée, l’activité microbienne cesse.

Cependant, comme les lacs ne gèlent plus jusqu’à leur lit, les biofilms sont en activité toute l’année. Au sein de l’environnement pauvre en oxygène des lacs, ils produisent du méthane, un gaz trente fois plus puissant que le dioxyde de carbone.

En raison de la quantité énorme de lacs qui parsèment le Nord, les effets cumulatifs de la production de ce gaz pourraient grandement intensifier la boucle de rétroaction inhérente au processus de changement climatique.

De plus, les changements pourraient avoir des effets sur des espèces de poissons, tels que l’omble chevalier. À première vue, le réchauffement des températures semble être bénéfique pour les populations de poissons, car il y a plus d’eau sous forme liquide. Toutefois, les biofilms contribuent à l’appauvrissement en oxygène des environnements des lacs, ce qui crée des conditions défavorables pour les poissons.

Un laboratoire de grande envergure

Le Dr Warwick Vincent au lac Ward Hunt (photo : Michio Kumagai, Centre d’études nordiques)

Dans le cadre de sa recherche, qui découle d’une collaboration de longue date avec Parcs Canada, le Dr Vincent doit se rendre chaque année à la pointe la plus septentrionale de l’Amérique du Nord. Le Dr Vincent et son équipe, qui se compose d’étudiants et de collaborateurs, utilisent des radars pouvant pénétrer la glace, des échantillonneurs de sédiments, des techniques d’analyse de l’ADN et des caméras GoPro pour explorer le monde submergé du lac Ward Hunt.

Le Dr Vincent considère que le parc national Quttinirpaaq lui permet d’étudier les changements climatiques sous un angle privilégié. Il faut protéger le parc afin qu’il puisse continuer de servir de laboratoire vivant.

Le Dr Vincent indique que le parc accueille peu de touristes, mais mentionne que le plan directeur du parc souligne l’importance capitale du lieu pour ce qui est de la surveillance de l’environnement mondial.

Les visiteurs parvenant à atteindre le parc national Quttinirpaaq vivront des expériences dans un lieu dépouillé qui leur donnera l’impression d’être dans un autre monde.

« Le mot “Quttinirpaaq” signifie “sommet du monde”, a déclaré le Dr Vincent. Il est vrai que l’on se sent vraiment au sommet du monde lorsque l’on sait que l’ensemble des Amériques se trouve au sud de notre position. »


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