Un bioravageur transformé en bioplastique
Parcs Canada appuie le travail de la chimiste Audrey Moores, qui met au point une méthode pour fabriquer du plastique biodégradable à partir des coquilles de crustacés, notamment le crabe vert envahissant.
Coquerelle marine, menace verte, l’une des 10 espèces les plus indésirables au monde — on a traité le crabe vert de tous ces noms.
Mais ce crustacé détesté pourrait aider les chercheurs à trouver une solution au problème mondial de la pollution par le plastique.
Parcs Canada s’est associé à Mme Audrey Moores, professeure de chimie à l’Université McGill, pour explorer une méthode de fabrication de plastique biodégradable à partir des coquilles de crabe vert.
« Une alliance providentielle. » C’est ainsi que Chris McCarthy, gestionnaire de la conservation des ressources de l’unité de gestion de la Nouvelle-Écosse continentale de Parcs Canada, décrit ce partenariat. Et cette alliance comporte une ironie réjouissante : le vilain parasite vert va servir la cause de la « chimie verte ».
L’histoire a commencé lorsque Mme Moores a publié un article sur l’utilisation de la chitine (le matériau qui compose les coquilles d’insectes et de crustacés) pour fabriquer du plastique biodégradable.
L’un des matériaux de construction les plus abondants de la nature, la chitine (prononcer « kitine ») se trouve dans les écailles de poisson, les champignons et les coquilles d’insectes et de crustacés. Comme le plastique, il s’agit d’une molécule complexe composée d’unités répétées. Contrairement au plastique, elle se biodégrade en quelques semaines ou en quelques mois.
Qu’est-ce que la chitine?
L’article de Mme Moores a attiré l’attention de Gabrielle Beaulieu, gestionnaire du projet de restauration côtière au parc national et lieu historique Kejimkujik, en Nouvelle-Écosse.
Comme de nombreuses régions de l’Atlantique nord-américain, Kejimkujik était aux prises avec une invasion de crabe vert.
Mme Beaulieu et M. McCarthy ont demandé à Mme Moores de transformer leur problème en solution – ou du moins, en matière première pour trouver une solution.
Mme Moores « a vraiment été impressionnée par ce que nous tentions de faire », déclare M. McCarthy.
Le partenariat a déjà donné lieu à une campagne de financement participatif couronnée de succès par le biais du Fathom Fund, un projet du réseau MEOPAR (Marine Environmental Observation Prediction and Response Network – en anglais seulement).
Parcs Canada versera 20 000 $ au projet. Le financement permettra d’embaucher un chercheur à temps plein pour le projet, qui sera basé près de Kejimkujik.
Un ennemi des zostères
La lutte de Kejimkujik contre le crabe vert remonte à 2007, lorsque le personnel de conservation a commencé à se rendre compte qu’il se passait quelque chose de grave sous l’eau. Le principal symptôme était la disparition des zostères.
La zostère, une plante à fleurs marines, sert de pépinière pour les créatures sous-marines, y compris de nombreuses espèces pêchées commercialement en Nouvelle-Écosse. En 2010, la couverture de zostères dans l’estuaire de Port Joli à Kejimkujik n’était plus que de 2 % par rapport au niveau de 1987.
La perte de zostères, dit M. McCarthy, a eu un effet en cascade. Non seulement les espèces marines en ont souffert, mais les oiseaux qui se nourrissent de ces espèces aussi.
Les crabes verts adultes arrachent les zostères pour attraper les animaux dont ils se nourrissent, ce qui comprend les palourdes, les moules, les huîtres, les petits crabes et même les petits poissons.
Kejimkujik a commencé à piéger et à éliminer les crabes verts à l’aide de chaloupes et de canots. Activité de science citoyenne, Expédi-Crabes donne aux visiteurs du parc la possibilité de participer à ce programme de contrôle. (Madame Moores a participé au programme, expérience qui, dit-elle, « lui a ouvert les yeux ».)
Jusqu’à présent, le personnel et les bénévoles ont retiré 2 millions de crustacés de l’estuaire du parc. Par conséquent, on a réussi à récupérer près de 40 % du couvert de zostères d’origine, et la biodiversité globale de l’estuaire continue de s’améliorer.
Reconditionnement du crabe vert
Kejimkujik avait déjà réussi à encourager la demande de crabe vert comme appât dans la pêche au homard et comme aliment comestible. Ce nouveau partenariat crée une demande à l’année pour le crustacé, dit M. McCarthy.
Le projet profitera donc aux collectivités côtières ainsi qu’aux écosystèmes côtiers – et peut-être, en fin de compte, à l’océan lui-même.
Le plastique conventionnel est un problème majeur pour les océans du monde, car il ne se décompose pas et peut se propager dans toute la chaîne alimentaire. Un tiers du plastique produit dans le monde se retrouve dans l’océan.
Le plastique biodégradable est déjà fabriqué à partir de chitine, dit Mme Moores, mais à petite échelle. En outre, les méthodes utilisées peuvent être nocives pour l’environnement. Son approche utilise la chimie verte pour produire le plastique proprement et à plus grande échelle.
La chitine représente environ 15 à 40 % de la coquille d’un crustacé. Pour les séparer, les chercheurs utilisent habituellement des produits chimiques toxiques et beaucoup d’eau. Ces méthodes ont également tendance à briser les chaînes moléculaires complexes de la chitine, de sorte que seuls de petits morceaux de bioplastique peuvent être produits. La méthode de Mme Moores consiste à utiliser d’abord la force mécanique, c’est-à-dire à réduire la coquille en poudre pour aider à séparer la chitine. On la mélange ensuite à de l’hydroxyde de sodium (soude) pour en retirer les protéines. Enfin, le mélange est vieilli pendant six jours dans une sorte de « salle à vapeur » pour produire le bioplastique. La méthode de Mme Moores utilise environ un tiers ou un cinquième de l’énergie, un dixième de l’eau et un huitième de l’hydroxyde de sodium utilisé dans le processus traditionnel. Elle permet également d’éviter de briser les chaînes moléculaires de la chitine, ce qui rend la substance si précieuse comme matériau structurel. Chimie verte : transformer la chitine en bioplastique
Ainsi, le crabe vert pourrait un jour contribuer à la santé de l’océan. C’est toujours satisfaisant quand un chapeau noir devient un chapeau blanc, ou du moins, une source d’ingrédients pour faciliter le travail des chapeaux blancs.
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