Le premier chaînon d'un réseau de canaux

Lieu historique national du Canal-de-Lachine

Une nécessité commerciale

Durant la période dominée par le commerce des fourrures, canots et « batteaux » à fond plat assurent la liaison entre les marchands de Montréal et les postes de traite dispersés sur le continent. Puis, le contexte démographique et économique se transforme. Après la guerre d'Indépendance américaine, de nombreux Loyalistes s'installent dans ce qui va devenir le Haut-Canada. À cette première vague de colonisation s'ajoute une forte immigration britannique. Au début du XIXe siècle, l'exploitation du potentiel agricole de cette province et son approvisionnement en biens de toutes sortes font augmenter les échanges commerciaux entre le Haut-Canada, le Bas-Canada et la Grande-Bretagne. Le commerce du blé et du bois supplante peu à peu celui de la fourrure.

De l'autre côté de la frontière, le Middle West américain connaît une expansion encore plus prononcée. Or, le projet de creusement du canal Érié dans l'État de New York menace de drainer l'essentiel du commerce de la région des Grands Lacs vers le port de New York. Les marchands montréalais s'inquiètent et veulent assurer leur mainmise sur les affaires des Grands Lacs en attirant le trafic commercial dans leur ville. Pour ce faire, ils doivent améliorer la navigation en amont de Montréal. Regroupés au sein de la Compagnie des Propriétaires du Canal de Lachine, ils seront les instigateurs du premier canal.

Le 17 juillet 1821, John Richardson, marchand prospère et fondateur de la Banque de Montréal, donne le signal du début des travaux qui seront achevés en 1825. Au total, 7 écluses jalonnent les 14 kilomètres qui séparent le port de Montréal du lac Saint-Louis. À ses débuts, le canal sert principalement au transit des marchandises.

Une étape vers la maturité

Entrée du canal de Lachine, située au pied de la rue McGill à Montréal, 1826, aquarelle de John Hugh Ross © Musée McCord MP-1976.288.2

Le premier canal permet le passage de navires de faible gabarit. Entre 1825 et 1840, le nombre de navires qui l'empruntent septuple et celui des passagers quintuple. Vis-à-vis de cette augmentation du trafic et de l'utilisation de navires de plus en plus gros, l'élargissement du canal devient impérieux, 20 ans seulement après son ouverture. On devra pourtant attendre la fin de la décennie 1830-1840, marquée par des crises économiques et politiques dans le Haut et le Bas-Canada, pour effectuer ces travaux.

En 1840, les deux provinces sont réunies. Londres met alors en branle un vaste programme de canalisation continue entre Montréal et le lac Érié, projet considéré comme la clé de voûte de la prospérité canadienne. Les travaux de canalisation ont cours de 1843 à 1848. Le canal de Lachine et celui de Welland sont agrandis. On en profite pour réduire à cinq le nombre d'écluses du canal de Lachine. On construit aussi les canaux de Beauharnois, de Cornwall et de Williamsburg pour contourner les rapides en amont des lacs Saint-Louis et Saint-François.

Les Irlandais, au cœur de la construction du canal de Lachine

Constituant la majorité de la main-d’œuvre affectée à la construction du canal de Lachine, les Irlandais s’établissent alors à Griffintown. À compter de 1845 et jusqu’aux années 1850, ces derniers affluent au Canada. Ils sont pour la plupart des paysans sans le sou. Chassés de leur pays par la maladie, le mildiou, qui frappe la pomme de terre, aliment de base d’une bonne partie de la population, ils fuient la Grande Famine autant qu’ils recherchent un avenir meilleur.

Sans qualification, pour la plupart, ils ne peuvent prétendre qu'à des emplois de manœuvres pour lesquels ils sont réputés « durs à l'ouvrage » en Amérique du Nord, aucun canal ne se bâtissait alors sans eux. Or, durant les années 1840, aux États-Unis, la « Canal Era » connaît un sérieux ralentissement. Des milliers de ces travailleurs irlandais affluent alors du sud afin de participer à la construction des canaux du Saint-Laurent.

Des exploits d’ingénierie hydraulique réalisés avec du matériel de base

N’ayant comme seule force de travail que leurs bras, les Irlandais seront au cœur de la construction et des deux élargissements successifs du canal de Lachine. La mise en chantier d’une voie navigable exige de creuser un canal, d’aménager des écluses en maçonnerie, de percer des tunnels et de construire des drains, des déversoirs, etc. Ces exploits d’ingénierie hydraulique seront réalisés avec du matériel de base : pelles, pics, pioches, seaux, tarières, bêches, barres de fer pour excaver et fendre le roc. Truelles, burins, maillets, etc. pour tailler la pierre, haches, marteaux, ciseaux, équerres, etc. pour fabriquer des portes d’écluses.

Quant au dernier élargissement, si les excavatrices à vapeur sont mises à contribution, une bonne partie du travail est toujours réalisée à main d’homme. À l’œuvre de l’aube au crépuscule, six jours durant, ces hommes durs à la tâche excaveront, beau temps, mauvais temps, un canal de 15,5 km dans un sol composé au tiers de roc.

Un canal à la mesure d'un pays

Après la Confédération de 1867, le gouvernement développe sa « politique nationale » axée sur les échanges inter-provinciaux et la conquête de l'Ouest. Le Québec et l'Ontario bénéficient grandement de cette politique : ils deviennent notamment d'importants fournisseurs de produits manufacturés et ils possèdent les ports de transbordement des céréales de Prairies.

Travaux d'élargissement du canal de Lachine à l'écluse Saint-Gabriel, Montréal, 1887 © Musée McCord M979.87.441

En 1872, à la suite d'une commission d'enquête sur le rôle de la voie navigable du Saint-Laurent, le Parlement décide de son agrandissement. Les travaux sur le canal de Lachine débutent en 1873 et durent jusqu'en 1884. Ils sont achevés quelques années plus tard, avec l'électrification des mécanismes des portes d'écluse.

Les travaux sur l'ensemble du Saint-Laurent s'échelonneront, quant à eux, sur une trentaine d'années. Avec ce nouveau réseau de canalisation, qui inclut la construction du canal de Soulanges, les navires océaniques peuvent désormais franchir les 2100 kilomètres et les 163,6 mètres de dénivelé qui séparent Montréal du lac Supérieur.

Les limites du succès

Le J.N. McWatters dans la voie maritime du Saint-Laurent,1969 © Henri Rémillard, BAnQ D690921-690992

Le canal demeure un axe industriel privilégié jusqu'en 1950, mais son efficacité en tant que couloir de navigation diminue rapidement. Victime de son succès, il est prisonnier du développement urbain et industriel auquel il a tant contribué. On ne peut l'agrandir une troisième fois. Devant la taille de plus en plus imposante des navires, le canal doit céder la place à la Voie maritime du Saint-Laurent, creusée sur la rive sud du fleuve. Onze ans après l'ouverture de celle-ci, en 1959, le canal est définitivement fermé à la navigation.

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