Histoire
Lieu historique national du Fort-Anne
Histoire
Introduction
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Au cours des XVIIe et XVIIIe siècle, la rivière Annapolis (anciennement la rivière Dauphin), située dans le sud ouest de la Nouvelle-Écosse, devient un des plus importants lieux de colonisation pour les Européens en Amérique du Nord. Pendant plus de 3 000 ans, les Mi’kmaq et leurs ancêtres utilisent la rivière comme partie d'une voie terrestre vers la rive sud de la Nouvelle Écosse. En 1605, quinze ans avant que les pèlerins n’atteignent Plymouth Rock, trois ans avant la fondation de Québec et deux ans avant la fondation de Jamestown en Virginie, des explorateurs français s’établissent sur les rives de la rivière, à l’embouchure du bassin. Ils baptisent le bassin « Port-Royal » en raison de sa beauté et de son étendue.
Avec l’aide des Mi’kmaq, les pionniers entreprennent l’établissement d’un poste de traite de fourrures et d’une colonie agricole. Ils défrichent les terres situées en amont, à l’emplacement actuel d’Annapolis Royal et du lieu historique national du Fort-Anne, où ils y cultivent entre autres le blé. Pour moudre le grain cultivé sur place, ils construisent un moulin sur les rives de la rivière Allain. Malgré les difficultés financières et les autres épreuves auxquelles ils doivent faire face, les habitants de cette petite colonie établissent des liens profonds avec les Mi’kmaq et parviennent à introduire la culture française dans ce territoire qu’ils nomment « Acadie ».
En 1613, une expédition anglaise dirigée par le capitaine Samuel Argall en provenance de Jamestown fait son entrée à Port Royal et y trouve l’Habitation non protégée. Ils pillent l’établissement avant d’y mettre le feu, tuent le bétail et détruisent les cultures. Cet épisode marque le début d’un conflit de 150 ans entre la Grande Bretagne et la France.
C’est aussi à ce moment que commence l’histoire du lieu historique national du Fort Anne.
L’héritage français
Après le passage de la colonie aux mains de la France, les colons français remplacent les Écossais. Leur chef, Charles de Menou d’Aulnay, et sa femme, Jeanne Motin, sont chargés d’y faire prospérer une colonie. Les pionniers qui accompagnent le couple s’établissent à différents endroits en bordure de la rivière Dauphin (aujourd’hui la rivière Annapolis). Ils y instaurent une forme particulière d’agriculture, encore pratiquée aujourd’hui. En construisant des digues et des sortes de canalisations appelées « aboiteaux », le long des platins, les pionniers de la colonie empêchent l’eau de la mer d’inonder les marais. En deux ou trois ans, la pluie débarrasse la terre des zones endiguées du sel, et ce processus transforme les marais en terres agricoles fertiles. Ce groupe de pionniers français est devenu ce que l’on désigne aujourd’hui comme le peuple acadien.
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Dès les années 1630, le nom Port Royal désigne le village qui englobe la région s’étalant plusieurs kilomètres en amont du bassin (aujourd’hui le bassin Annapolis) jusqu’à ce qui est aujourd’hui la ville d’Annapolis Royal. Dès le début du XVIIIe siècle, près de 600 Acadiens sont établis à Port Royal. On compte également d’autres établissements acadiens dispersés dans le fond de la baie de Fundy.
Sous la direction d’Aulnay, le fort prend de l’expansion. D’Aulnay y érige le premier de quatre forts construits par les Français, en y intégrant, sans doute, des éléments du fort construit par les Écossais. Deux forts de fortune se succèdent ensuite à l’emplacement du fort érigé par d’Aulnay, puis, en 1702, les Français entreprennent la construction d’un fort au confluent des rivières Annapolis et Allain. C’est Pierre Paul de Labat, un officier français, qui conçoit le fort et supervise sa construction. Après avoir reçu une formation auprès de Sébastien Le Prestre de Vauban, illustre ingénieur militaire de fortifications européen, de Labat créé un fort en forme d’étoile composé de quatre bastions reliés entre eux par des courtines, d’un ravelin et d’une batterie côté mer, faisant face à la rivière Annapolis. Les vestiges de ce fort à la Vauban constituent aujourd’hui le lieu historique national du Canada du Fort Anne.
Pendant presque tout le XVIIe siècle, et jusqu’en 1710, la colonie de l’Acadie est gouvernée depuis cet endroit. Il sert alors de résidence au gouverneur français, à ses fonctionnaires et à sa garnison. Plusieurs familles de même que des menuisiers et des hommes de métier habitent également le fort durant cette période.
La guerre et le « Grand Dérangement »
Au cours des années 1740, les Français lancent plusieurs attaques pour reprendre le contrôle de l’Acadie. La première attaque est dirigée en 1744 par le capitaine François du Pont de Louisbourg. Pendant près d’un mois, des soldats français et des guerriers des Premières nations attaquent le fort pendant la nuit. Le commandant du fort, Paul Mascarene, parvient toutefois à garder ses ennemis à distance jusqu’à l’arrivée des renforts de la Nouvelle Angleterre, après quoi les attaquants battent en retraite. Les Français lancent par la suite deux nouvelles expéditions en 1745 et en 1746. Les autorités militaires qui occupent le fort continuent d’exercer leur pouvoir sur les Mi’kmaq, les Acadiens et la petite population britannique de la Nouvelle Écosse jusqu’en 1749, année où Halifax devient la nouvelle capitale.
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Les conflits armés entre les troupes britanniques et françaises reprennent de nouveau dans les années 1750, ce qui a cette fois ci des conséquences tragiques pour les Acadiens. En 1755, les Acadiens refusent de prêter serment d’allégeance inconditionnelle à la couronne britannique, réaffirmant leur position de neutralité. Deux fois en juillet, les représentants du peuple acadien refusent de se soumettre à cette condition. En réaction, le Conseil de la Nouvelle Écosse adopte la résolution d’expulser les Acadiens de la colonie. Les autorités militaires de la Nouvelle Angleterre faciliteront le processus. Le 11 août, le gouverneur Charles Lawrence ordonne que les Acadiens soient embarqués de force sur des bateaux et qu’ils soient dispersés dans les colonies britanniques situées au sud de la Nouvelle Écosse. Le « Grand Dérangement » du peuple acadien, qui commence dans le fond de la baie de Fundy, se poursuit jusqu’à l’automne. Le port d’Annapolis Royal sert d’escale aux navires de la déportation.
Pendant une courte période, les Acadiens vivant le long des rives du bassin et de la rivière Annapolis continuent de vivre librement. Depuis plusieurs années déjà, la garnison établie à Annapolis Royal coexiste de manière pacifique avec les habitants des villages acadiens environnants. Ces derniers ont participé aux travaux de réparation du fort à Annapolis, et depuis des années, des députés acadiens représentant leur collectivité travaillent auprès du conseil d’administration de la ville. Toutefois, en décembre 1755, les autorités britanniques ordonnent le regroupement des Acadiens de la région entourant Annapolis en vue de leur déportation, opération à laquelle ont été soumis, quelques mois plus tôt, les Acadiens des régions de Chignectou, Grand Pré et Pigiguit. Au nombre de 1 664, ces Acadiens sont envoyés au Massachusetts, au Connecticut, à New York et en Caroline du Sud. Les maisons et autres bâtiments qu’ils laissent derrière eux sont détruits. Toutefois, près de 232 Acadiens qui se trouvent à bord du Pembroke, à destination de la Caroline du Nord, parviennent à prendre le contrôle du bateau et à le conduire jusqu’à la rivière Saint Jean. Ses 232 occupants réussissent à s’échapper. La plupart se rendent à Québec, mais certains d’entre eux retournent à Annapolis pour y vivre dans l’ombre. Tout compte fait, la Déportation des Acadiens aura duré de 1755 à 1762 et entraîné l’expulsion d’environ 10 000 Acadiens de la région. Par ailleurs, 4 000 Acadiens auront réussi à s’échapper et à prendre la fuite vers ce qui est aujourd’hui le Nouveau Brunswick, le Québec et l’Île du Prince Édouard. Le premier Traité de Paris, signé en 1763, met fin à la guerre entre la Grande-Bretagne et la France. Cette dernière cède à la Grande Bretagne le contrôle de toutes ses terres en Amérique du Nord, à l'exception des îsles de St. Pierre et Miquelon qui servent comme base pour la pêcherie française. Le Traité permet aux Acadiens de vivre librement et de revenir sur leurs terres en Nouvelle Écosse. Toutefois, des milliers de colons de la Nouvelle Angleterre ont déjà pris possession de leurs terres fertiles. Malgré les lourdes pertes qu’elles subissent, et malgré la pauvreté et la discrimination dont elles sont victimes, les collectivités acadiennes persévèrent et entament un long processus de reconstruction de leur culture unique. Aujourd’hui, leurs descendants constituent plus de 300 000 habitants des provinces de l’Atlantique.
La naissance de la Nouvelle-Écosse
Malgré leurs lourdes pertes, certains pionniers de l’Habitation de Port Royal demeurent dans la région pour de nombreuses années. Un de ces pionniers, Charles de Saint Étienne de La Tour, établit peu de temps après un poste de traite au cap Sable.
Les Écossais sont les prochain pionniers à établir un point d’ancrage dans la région. En 1621, le roi Jacques Ier d’Angleterre concède à sir William Alexander, un noble écossais, la charte de la Nouvelle Écosse en vue de la fondation d’une colonie écossaise en Amérique du Nord, dans ce qui réunit aujourd’hui les provinces Maritimes et la Gaspésie. Sur la charte, rédigée en anglais, la colonie porte le nom latin Nova Scotia, qui signifie « Nouvelle-Écosse ».
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Après l’obtention de la charte, huit ans passent avant que la colonie ne suscite l’intérêt et n’obtienne le soutien financier nécessaire à son développement. En 1629, sir William Alexander fils mène un groupe de 70 hommes et femmes à plusieurs kilomètres en amont de l’ancienne Habitation de Port Royal, là où se dresse aujourd’hui le lieu historique national du Fort Anne.
Photo des armoiries de la Nouvelle Écosse
Selon le journal d’un de ces pionniers écossais, les
nouveaux arrivants découvrent un lieu « protégé par la mer et la terre… s’élevant (au-dessus) d’une des rivières les plus importantes et qui est bordé, à l’est…par une petite rivière… (où) nous avons découvert un moulin à eau délabré construit par les Français. » Protégé des deux côtés de la rivière par des collines, et situé dans un lieu riche en fruits de mer et où il fait bon vivre, le lieu est baptisé « Fort Charles » par les pionniers en l’honneur du dirigeant stuart Charles Ier. L’établissement porte quant à lui le nom du bassin, Port-Royal.
Néanmoins, la lutte opposant la France et la Grande-Bretagne pour le contrôle de la région se poursuit. Pour tenter d’apaiser la France, le roi Charles ordonne à sir William Alexander de retirer ses hommes de Port Royal. Un an plus tard, en 1632, seulement trois ans après que sir Alexander y ait fondé un établissement, la colonie est cédée à la France au terme de la signature du Traité de Saint Germain en Laye.
Bien que cette aventure écossaise n’ait été que de courte durée, son héritage n’en est pas moins important. Elle a inspiré le nom, le drapeau et les armoiries de la Nouvelle Écosse.
Le retour des Britanniques
La période pendant laquelle Port-Royal constitue la capitale française de l’Acadie prend fin à l’automne de 1710, alors qu’un important contingent armé dirigé par Francis Nicholson, un officier britannique, prend le contrôle du fort après un siège d’une semaine. La flotte britannique, composée de 35 navires et de 2 000 soldats de la Grande Bretagne et de la Nouvelle-Angleterre, est largement supérieure aux forces françaises. Le 16 octobre, le gouverneur Daniel D’Auger de Subercase capitule; le fort et la zone de cinq kilomètres entourant le village tombent aux main des Britanniques. Ceux ci rebaptisent le lieu « Annapolis Royal », et encore une fois, l’Acadie devient la « Nouvelle¬ Écosse ».
En 1713, le traité d’Utrecht confirme la souveraineté britannique sur l’Acadie, et Annapolis Royal (anciennement Port Royal) devient la capitale de la Nouvelle Écosse. Toutefois, les limites territoriales de l’Acadie demeurent ambigües. La France a cédé aux Britanniques l’Acadie avec « ses limites anciennes », mais ces limites n’ont en réalité jamais été établies. Bien que la Grande-Bretagne ait gagné le contrôle de l’Acadie, la guerre n’est pas terminée. D’après l’entente signée entre les deux nations, la France garde le contrôle de ses colonies au Canada (une région située le long du fleuve Saint-Laurent), de l’île Royale (aujourd’hui l’île du Cap Breton) et de l’île Saint Jean (aujourd’hui l’Île-du-Prince-Édouard). Les Français conservent également leur rêve de conquérir à nouveau Annapolis Royal et de rebaptiser le lieu « Acadie ».
Pendant les 30 années suivantes, les Acadiens voient leur population s’accroître de façon fulgurante; une partie de cette population s’établit à divers endroits sur le territoire s’étalant jusqu’à la baie de Fundy. Toutefois, cette période est aussi caractérisée par l’incertitude. Depuis 1713, la région passe alternativement aux mains des Français et des Britanniques de nombreuses fois, ce qui porte les Acadiens à croire que les Français pourraient à nouveau contrôler la région. Les Acadiens refusent donc de prêter serment à l’une ou à l’autre des nations et préfèrent demeurer neutres. Pour communiquer avec les Acadiens dispersés dans les différents villages de la région, les dirigeants britanniques d’Annapolis Royal, dont le siège est situé à l’emplacement actuel de Fort Anne, décident de créer un gouvernement partiellement représentatif; les habitants de chaque collectivité importante de l’Acadie élisent des députés qui travaillent en leur nom avec les officiels britanniques. Les Britanniques tentent parfois de rallier les députés de leur côté, chose à laquelle continuent de résister les Acadiens.
En 1729-1730, Richard Philipps et les Acadiens négocient un compromis : ils s’entendent pour modifier le serment en lui ajoutant une promesse verbale stipulant que les Acadiens ne sont en aucun cas obligés de prendre les armes contre les Français ou les Mi’kmaq. Les dirigeants britanniques de Londres et plus tard de Halifax (après sa fondation en 1749) n’accepteront pas cette modification. Par conséquent, la loyauté demeure un sujet d’inquiétude au sein des deux camps.
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Les Mi’kmaq, qui seulement cent ans auparavant sont les seuls à occuper la région, sont mécontents à l’égard de cette présence de plus en plus importante des Britanniques en Nouvelle Écosse. Cette hostilité n’empêche toutefois pas les Mi’kmaq d’entretenir des relations amicales avec les Français, avec certains ils partagent les mêmes croyances religieuses et des liens de parenté. En 1720, une série d’événements violents éclatent entre les Britanniques et les Mi’kmaq. Ces derniers s’emparent de nombreux bateaux ramenés de Nouvelle Angleterre servant à la traite et à la pêche. Une bataille aura également lieu près d’Annapolis.
Le conflit prend fin en 1726, moment où des chefs Mi’kmaq et des chefs d’autres Premières nations du Nord-Est se rendent au fort d’Annapolis pour ratifier un traité de paix signé l’année précédente à Boston.
Le plus ancien lieu historique national au Canada
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À partir du moment où Halifax devient la nouvelle capitale et le principal lieu de défense militaire de la Nouvelle Écosse, le rôle du fort d’Annapolis Royal perd de son importance. Lors de conflits ultérieurs comme la Révolution américaine et la guerre de 1812, le fort sert d’avant poste pour défendre la ville des envahisseurs étrangers. Le fort sert dans un véritable combat pour une dernière fois en 1781, année où il est attaqué par des corsaires américains. Vers la fin des années 1790, les Britanniques construisent un nouveau quartier des officiers supérieurs. Au début du XIXe siècle, l’ancien fort est surnommé « Fort Anne », et en 1854, les Britanniques décident de retirer leur garnison d’Annapolis Royal, ce qui entraîne la détérioration graduelle du lieu et de ses bâtiments.
Efforts de préservation
Au cours du XIXe siècle, la ville d’Annapolis Royal devient de plus en plus prospère grâce à l’industrie du transport et de la construction de navires. Aux yeux des romantiques de l’époque victorienne de la fin du XIXe siècle, les ruines du fort évoquent un long passé héroïque. Lorsque le blockhaus du fort est démoli sans que les habitants d’Annapolis Royal n’en soient avisés, un groupe de citoyens outrés presse le gouvernement du Canada de voir à la préservation et à l’entretien du fort pour le bénéfice des générations futures. Leurs efforts donnent lieu à une série de travaux destinés à améliorer l’état du lieu. En 1917, le fort Anne devient le premier lieu historique national à être administré par le gouvernement du Canada.
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