Entrevue avec une historienne : Révélations au sujet d’un établissement acadien du 17e siècle
Lieu historique national de l'Établissement-Melanson
Questions et réponses avec Brenda Dunn (historienne et auteure) par Andi Rierden, pour Parcs Canada
Peu d’endroits en Amérique du Nord nous révèlent autant d’informations sur la vie familiale et communautaire acadienne aux 17e et 18e siècles que le lieu historique national de l'Établissement-Melanson. Des fouilles archéologiques réalisées dans les années 1980, et étayées par des documents historiques, ont permis de découvrir les ruines pratiquement intactes d’un village, à l’exception d’une exploitation légère des terres depuis 1755. Comme l’explique l’historienne Brenda Dunn dans la conversation qui suit, l’endroit se révèle être un important établissement acadien du début de la colonie, un établissement dont les membres ont contribué de manière significative à la création d’une société distincte fondée sur la collaboration entre les familles et la pratique d’une agriculture bien particulière. Surplombant l’embouchure de la rivière Dauphin (l'actuelle rivière Annapolis), sur la route menant au centre névralgique du gouvernement, l’établissement a pu prospérer pendant de nombreuses décennies malgré le poids d’une longue et implacable lutte pour le contrôle de la région.
Avant de prendre sa retraite de Parcs Canada en 1998, Mme Dunn a été historienne des lieux historiques nationaux de Canada à Louisbourg, au Fort-Anne, à Grand-Pré et à l’Établissement-Melanson en Nouvelle-Écosse. Elle a publié de nombreux articles sur l’histoire coloniale de la Nouvelle-Écosse et est l’auteure de l’ouvrage A History of Port-Royal/Annapolis Royal: 1605-1800 (Nimbus Publishing, 2004). Voici quelques extraits de notre conversation.
Quel est le lien entre l’Établissement-Melanson et les lieux historiques nationaux du Fort-Anne et de Port-Royal?
L’établissement représente une partie importante de l’histoire plus vaste de l’établissement européen dans la région d’Annapolis Royal. Il a été fondé par Charles Melanson et son épouse Marie Dugas, après leur mariage vers 1664. Marie Dugas faisait partie de la première génération d’Acadiens nés à Port-Royal. Son père et son grand-père maternel s’étaient établis à Port-Royal avec Charles de Menou d’Aulnay durant les premières années de la colonie. Charles Melanson est arrivé d’Angleterre avec ses parents en 1657, quand l’Acadie était sous la domination britannique. Son père était un huguenot français et sa mère était anglaise. En se mariant à un membre de la famille Dugas, Charles a noué des liens avec de nombreuses autres familles acadiennes. Pierre Melanson, le frère de Charles, s’est marié à Marguerite Mius d’Entremont, et le couple s’est plus tard établi dans la partie supérieure de la baie de Fundy et a fondé Grand-Pré. À mesure que leur réseau s’élargissait, les Melanson sont devenus l’une des familles les plus influentes d’Acadie.
Il est aussi important de mentionner que le fort [aujourd’hui le lieu historique national du Fort-Anne] était le siège du gouvernement dans la région et qu’il a eu des répercussions économiques et politiques profondes sur les Melanson. Par exemple, en 1720 [une décennie après la prise de contrôle par les Britanniques], Alexandre Robichaud, le deuxième époux d’Anne Melanson, qui venait d’une famille acadienne établie et vivait à l’Établissement-Melanson, a été l’un des premiers députés choisis pour représenter les Acadiens dans les pourparlers avec le gouvernement britannique à Annapolis Royal.
Pourquoi l’Établissement-Melanson est-il si bien documenté dès ses débuts?
Sous le régime français, et plus tard le régime britannique, divers ingénieurs du fort [aujourd’hui le lieu historique national du Fort-Anne] ont préparé plusieurs cartes de l’approche du fort depuis l’île aux Chèvres [aujourd'hui île Goat]. Ils nous ont ainsi fourni une documentation précieuse sur l’évolution de l’Établissement-Melanson et des autres établissements en aval de la rivière. Aucun autre lieu d’établissement acadien n’est aussi bien documenté.
Une carte dessinée en 1708 par Pierre-Paul Delabat, un ingénieur du fort, représente l’Établissement-Melanson sur les hauteurs surplombant le marais Saint-Charles [aujourd’hui le marais Queen Anne]. On y voit cinq maisons. Les détails les plus importants sur cette carte sont les noms des occupants des maisons. Bien qu’un seul de ces noms soit Melanson, des membres de la famille Melanson vivaient dans quatre des cinq maisons. Une famille acadienne vivait rarement isolée. Ses membres étaient liés par le mariage à d’autres membres de la communauté, souvent de plusieurs façons.
Des lignes pointillées adjacentes à quatre maisons indiquent l’emplacement des jardins où l’on cultivait du navet, du chou, des herbes et du lin. De petits arbres sur la pente dévalant vers le marais représentent une partie du verger des Melanson. Selon le seul recensement qui incluait les vergers, en 1698, Charles Melanson avait 76 arbres, soit l’un des plus grands vergers de Port-Royal. Il possédait la deuxième plus grande quantité de terres arables.
La carte de 1708 et une autre dessinée en 1710 établissent un lien direct entre les occupants des établissements le long de la partie inférieure de la rivière et le cadre physique. Nous avons aussi beaucoup de chance que le recensement de 1707 soit lié à la carte de Delabat de 1708. Il n’est pas possible d’établir un tel lien pour tout autre lieu d’établissement dans l’Acadie d'avant la Déportation.
Comment la communauté acadienne a-t-elle évolué?
Dans les années 1630, Isaac de Razilly a amené des colons de France à La Hève [aujourd'hui La Have]. Après son décès, Charles d’Aulnay [le lieutenant de Razilly] a déplacé les colons à Port Royal et en a amené d’autres de France. Sous l’autorité de d’Aulnay, ils ont construit les premières digues, amorçant ainsi l'agriculture sur marais asséché, une pratique agricole particulière à l’Acadie. Durant la domination britannique, de 1654 à 1670, les colons ont commencé à quitter la ville pour s’établir le long de la rivière Dauphin [l'actuelle rivière Annapolis], de l’île aux Chèvres [aujourd'hui l'île Goat], située à l’embouchure de la rivière dans le bassin de Port Royal [aujourd’hui Annapolis], jusqu’au-dessus de la présente ville de Bridgetown.
L’une des premières références au terme « Acadien » vient de François Du Pont Duvivier de Louisbourg. Espérant que ses liens avec les Acadiens l’aideraient à convaincre ces derniers de se joindre à son expédition avant son attaque du fort en 1744, il leur a déclaré « Je suis Acadien ». À la fin du 17e siècle, ces colons formaient une société distincte acadienne. Ils étaient très loin de la France et avaient développé une affinité profonde avec la terre de cette région.
Un feu d’herbe a mis au jour le site de l’Établissement-Melanson au début des années 1980, ce qui a mené à la réalisation de fouilles archéologiques auxquelles vous avez participé à titre d’historienne. Dans l’ensemble, qu’avez-vous découvert?
Les résultats des fouilles nous ont permis de conclure que le site n’a pas été utilisé comme établissement domestique après la Déportation en 1755. Nous avons présumé que la plupart, sinon l’ensemble, des aménagements identifiés dataient de la période d’occupation de la région par les Acadiens. Les documents historiques appuient également cette conclusion. Il s’agit du seul établissement acadien d’avant la Déportation ayant des ruines étendues et faisant l’objet d’une documentation historique détaillée.
Les archéologues ont mis au jour toute une variété d’artefacts, comme des céramiques d’Angleterre, d’Allemagne et de Chine, des ciseaux, des pièces de monnaie et des perles de verre. Cette découverte a permis de mieux comprendre l’Établissement-Melanson et la vie des Acadiens aux 17e et 18e siècles.
Les fouilles effectuées à l’un des aménagements ont montré que quatre bâtiments avaient été construits successivement au même endroit. Les deux premiers étaient faits de piquets ou rondins verticaux et les deux autres avaient une charpente composée de lourdes poutres de bois, isolée à l’aide d’argile et d’herbe des marais et construite sur une fondation en pierres des champs. Les maisons à charpente avaient toutes deux un vaste foyer et un four extérieur sur le mur ouest. Les deux premières maisons avaient des fenêtres à ruban de plomb, et sur un des rubans était estampée la date « 1740 ». Des fours et des cycles de reconstruction semblables ont aussi été observés lors de fouilles à Belleisle, en amont de la rivière.
Avant la Déportation, quelles ont été les répercussions des batailles entre Britanniques et Français sur la vie quotidienne à l’Établissement-Melanson?
C’était très stressant pour les personnes qui vivaient le long de la partie inférieure de la rivière parce que tous les navires d’expédition étaient amarrés à l’île aux Chèvres [aujourd’hui l’île Goat]. L’Établissement-Melanson était le premier établissement que les navires apercevaient en remontant la rivière Dauphin [l'actuelle rivière Annapolis] après avoir traversé le chenal du côté nord de l’île au chèvre, à l’embouchure de la rivière, dans le bassin Port Royal [aujourd’hui Annapolis]. À au moins cinq occasions durant le régime français, des flottes ennemies ont ancré leurs navires à l’île aux Chèvres, près de l’Établissement-Melanson. À quelques occasions, les attaquants ont brûlé les bâtiments des Acadiens et tué leur bétail.
Qu’est-il advenu des Melanson après la Déportation?
Durant la Déportation, la plupart des résidants ont été embarqués à bord du Pembroke à destination de la Caroline du Nord. Charles Belliveau, qui avait grandi à l’Établissement Melanson, et d’autres prisonniers ont toutefois réussi à neutraliser l’équipage, puis ont mis le cap sur la rivière Saint-Jean. De là, la plupart d’entre eux se sont rendus jusqu’à Québec. Certains sont morts durant une épidémie de variole, y compris Charles Melanson, son frère Ambroise, et l’épouse de ce dernier, Marguerite Comeau. Les deux hommes étaient alors d’un âge avancé. Deux ans après la Déportation, un officier britannique a décrit la scène le long de la partie inférieure de la rivière à l’approche d’Annapolis Royal, où se trouvaient des villages acadiens en ruine et de très nombreux poiriers et pommiers croulant sous le poids de leurs fruits qui n’étaient pas cueillis.
Que voulez-vous que les visiteurs retiennent de leur visite du lieu?
Je veux qu’ils fassent l'expérience de l'esprit du lieu et aient une meilleure compréhension de l’histoire des Acadiens qui se sont établis le long de la rivière Dauphin (aujourd’hui Annapolis) et ont entrepris l'agriculture sur marais asséché, une pratique agricole unique en Amérique du Nord. L’établissement est un exemple distinct d’établissement acadien d’avant la Déportation et établit un lien avec l’histoire plus vaste de la colonisation française et britannique aux 17e et 18e siècles.
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