ReTrouver : un balado de Parcs Canada

Un balado d’histoire et d’archéologie.

ReTrouver vous fera voyager d'un océan à l'autre, du nord de Terre-Neuve, où se trouvent des ruines datant de l’ère des vikings, jusqu'à un site sacré d'un village haïda, ou la côte pacifique rencontre la forêt pluviale de Gwaii Haanas, incluant de nombreux arrêts entre les deux. Chaque épisode explore de nouveaux lieux et histoires qui aide à comprendre un passé compliqué.

Les façons d’écouter

Notes sur les épisodes, transcriptions et bibliographies

Bill Mason : Artiste de la nature sauvage - Découvrez Bibliothèque et Archives Canada

Un épisode spécial de nos collègues du balado Découvrez Bibliothèque et Archives Canada - Bill Mason : Artiste de la nature sauvage.

Si vous avez apprécié l'épisode ReTrouver - Grosse-Île: L'île de la quarantaine, consultez leur épisode Le trèfle et la fleur de lys pour en savoir plus sur l'immigration irlandaise au Québec.

Les films de Bill Mason : Le parc national Pukaskwa et Vogue-à-la-mer.

Planifiez votre visite au parc national Pukaskwa en Ontario.

Le balado Découvrez Bibliothèque et Archives Canada est disponible partout où vous écoutez vos balados. Pour plus d'histoires sur les trésors cachés de leur collection, vous pouvez aussi vous abonner.

Transcription

Christine Boucher: Bonjour chers auditeurs et chères auditrices et bienvenue à cet épisode spécial de retrouver. Nous aimerions vous présenter le balado de nos amis et collègues de Bibliothèque et Archives Canada intitulé Découvrez Bibliothèque et Archives Canada. Depuis plus de dix ans, ils diffusent des épisodes sur une foule de sujets allant des apparitions d'OVNIS au Manitoba, aux bandes dessinées historiques au Canada, en passant par l'évolution du curling et l'immigration irlandaise au pays.

Si vous avez aimé l'épisode Grosse-île, l'île de la quarantaine du balado retrouvé qui porte sur le lieu historique national de la Grosse-île et le Mémorial des Irlandais, il y a fort à parier que vous aimerez également l'épisode Le Trèfle et la fleur de Lys. Nous vous présentons aujourd'hui un épisode dont le lien avec Parcs Canada est quelque peu différent. Ce dernier s'intitule Bill Mason, artiste de la nature sauvage. Il s'agit d'un épisode qui fait le bonheur de nos conservateurs et conservatrices, car la collection d'artefacts de Parcs Canada constitue un morceau de l'histoire de Bill Mason, un petit canot sur lequel on peut voir un autochtone et son équipement.

Bill Mason est le maître d'œuvre derrière le très populaire documentaire de l'Office national du film Voguent à la mer, paru en 1966. Nominé aux Oscars, ce court métrage suit les aventures du canot sculpté dans sa longue odyssée depuis le lac supérieur jusqu'à l'océan Atlantique, sillonnant les Grands Lacs, le fleuve Saint-Laurent et même les chutes Niagara. La sculpture, l'une des nombreuses utilisées lors du tournage, a été offerte à Parcs Canada afin d'être exposée au parc national Pukaskwa, situé le long de la rive nord est du lac Supérieur, en Ontario. Ce don constitue un clin d'œil à l'amour que porte Bill Mason à la région, une région qu'il met en vedette dans son documentaire de 1983 intitulé Le parc national de Pukaskwa. Vous pouvez aujourd'hui admirer cette sculpture au centre d'accueil de ce parc national, lequel est situé à l'Anse Hattie. Pour en connaître davantage sur ces deux films ainsi que sur la façon de planifier votre visite au parc national de Pukaskwa, veuillez consulter les notes du balado.

Vous trouverez le balado Découvrez Bibliothèque et Archives Canada sur votre plateforme de balado préférée et il est possible de vous abonner pour découvrir d'autres histoires sur les trésors de leur collection. Ici Christine Boucher. Merci d'avoir été des nôtres. J'espère que l'épisode Bill Mason, artiste de la nature sauvage, vous plaira.

L'Anse aux Meadows : La Saga du Vinland

Saviez vous que des explorateurs scandinaves de l’ère des vikings ont été les premiers Européens à fouler le sol de l’Amérique du Nord?

Un voyage scandinave diversifié d’experts incluant des historiens, des archéologues et des interprètes vous attend au lieu historique national de L’Anse aux Meadows sur l’île de Terre-Neuve où se trouvent des ruines datant de l’ère des vikings.

En apprendre davantage :

Le Programme national de commémoration historique repose sur la participation des Canadiens afin d’identifier les lieux, les événements et les personnages d’importance historique nationale. Tous les membres du public peuvent proposer un sujet afin qu’il soit étudié par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.

Obtenir plus d'informations sur la façon de participer à ce processus

Transcription

Voix: Vous écoutez un balado signé Parcs Canada. This podcast is also available in English.

Christine Boucher: Du IXe au XIe siècle, un groupe de Scandinaves a pillé, ravagé et conquis une grande partie de l’Europe du Nord et même au-delà de ce territoire.

Il s’agissait de guerriers scandinaves possédant des flottes de navires, qui avaient la réputation d’être des pirates sauvages.

Vous connaissez peut-être ces gens sous le nom de Vikings.

Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que des explorateurs scandinaves ont été les premiers Européens à fouler le sol de l’Amérique du Nord.

Je m’appelle Christine Boucher, et vous êtes à l’écoute de Re:Trouver – La saga du Vinland.

Parcs Canada est connu dans le monde entier comme un chef de file de la conservation de la nature, mais nous faisons bien plus que cela. Avec nos partenaires, nous commémorons les personnages, les lieux et les événements qui ont façonné le pays que nous appelons maintenant le Canada. Rejoignez-nous pour rencontrer des experts de tout le pays et explorer les lieux, les récits et les artéfacts qui donnent vie à l’histoire.

Dans cet épisode, nous remontons mille ans dans le temps à lère des Vikings, et nous explorons le premier établissement européen en Amérique du Nord. Bienvenue au lieu historique national de L’Anse aux Meadows, sur l’île de Terre-Neuve.

Mais tout d’abord, mentionnons que le mot Viking n’est pas la bonne appellation pour désigner ce groupe d’explorateurs scandinaves.

Le terme « viking » désigne l’acte de piller des villages et de conquérir des terres. En vieux norrois, Viking se traduit par quelque chose comme : « raid de pirates ».

Cependant, tous les Scandinaves de cette époque n’étaient pas des Vikings. La plupart d’entre eux étaient des agriculteurs et des marchands - seuls quelques-uns se sont lancés dans des raids et des conquêtes. Ainsi, au lieu de se référer à ce groupe en tant que « vikings », nous allons les appeler les Scandinaves.

Entre les années 800 et 1050, les Scandinaves étaient originaires de la région connue aujourd’hui sous le nom de Scandinavie - le Danemark, la Norvège et la Suède. Ils ont établi de vastes routes commerciales et colonisé des terres à l’Est et à l’Ouest, franchissant de grandes distances dans leurs navires.

Les anciens manuels d’histoire glorifiaient souvent « l’ère de l’exploration », lorsque des Européens comme Christophe Colomb, Jacques Cartier et John Cabot ont, entre guillemets, « découvert » le Nouveau Monde à partir de 1492. Brisons donc ce mythe : personne ne peut « découvrir » un lieu habité depuis des millénaires.

Et... d’après les preuves recueillies à L’Anse aux Meadows, les Scandinaves - qui n’ont pas non plus « découvert » l’Amérique du Nord - sont arrivés près de 500 ans avant Christophe Colomb.

Et l’endroit où les Scandinaves ont débarqué était la pointe nord de la grande péninsule du Nord de Terre-Neuve.

Cet endroit est connu sous le nom de L’Anse aux Meadows - un petit village situé à environ 1000 km au nord-ouest de Saint-Jean - la capitale de Terre-Neuve-et-Labrador.

L’anse aux Meadeaux, ou “L’anse aux Meadows”(Prononcé en anglais) est un mélange linguistique intéressant, qui s’explique en partie par le fait que la région a été le théâtre d’activités de pêche par les Français, tout d’abord, puis ensuite par les Anglais. Pour connaître les détails de ce nom unique, nous avons pris contact avec un habitant de la région.

Loretta Decker: Il existe une ancienne carte qui fait référence à L’Anse aux Médée. Donc, selon toute vraisemblance, L’Anse aux Médeau a en fait été nommée d’après un bateau de pêche français.

CB: Voici Loretta Decker, une interprète de Parcs Canada au lieu historique national de L’Anse aux Meadows. Sa famille vit à L’Anse aux Meadows depuis que son ancêtre William Decker a fondé le village vers 1835.

LD: L’Anse aux Meadeaux était une petite communauté de pêcheurs. Tout le monde pêchait et à l’époque, On pouvait aller en bateau vers différentes localités s’il n’y avait pas de glace.

S’il y avait de la glace ou de la neige, on pouvait aller avec un attelage de chiens. Ainsi, on pouvait marcher 23 kilomètres pour voir sa petite amie.

CB: Loretta est l’un des 16 résidents qui habitent à l’année L’Anse aux Meadows aujourd’hui.

Bien que le village soit un peu plus fréquenté ces jours-ci pendant la saison touristique, c’est toujours le genre d’endroit où on peut rencontrer un troupeau de caribous - c’est ce qui est arrivé à Loretta le jour où nous lui avons parlé!

Depuis les années 1960, L’Anse aux Meadows, qui n’était qu’un village de pêcheurs accessible par bateau, est devenu le seul site de peuplement scandinave officiellement reconnu en Amérique du Nord, ce qui lui a valu deux désignations historiques importantes : un site historique national en 1968 et un site du patrimoine mondial de l’ UNESCO en 1978.

Mais avant que les Scandinaves n’arrivent ici, de nombreuses nations autochtones ont vécu dans la région pendant des milliers d’années.

C’est pourquoi plusieurs générations de villageois ont pensé que les monticules de terre soulevés dans un champ voisin étaient les vestiges d’un ancien camp autochtone. Il faudra un couple de chercheurs norvégiens pour révéler ce qu’ils étaient vraiment...

Mais pourquoi les Scandinaves sont-ils venus ici en premier lieu?

À l’époque des Vikings, les Scandinaves ont colonisé ou envahi une grande partie de l’Europe côtière, de l’Asie et d’ailleurs, pour finalement établir une importante colonie en Islande.

Un explorateur scandinave, Erik le Rouge, s’est installé en Islande avec sa famille lorsqu’il était enfant. À l’âge adulte, il a assassiné une personne de trop et a été exilé. Désormais considéré comme hors-la-loi, il décide de naviguer vers l’Ouest et finit par établir une petite colonie sur le lointain Groenland. Une génération plus tard, son fils, Leif Ericcson, mène une expédition pour explorer le territoire situé encore plus à l’ouest.

Cette information nous est connue grâce à une série de récits épiques, à savoir les sagas islandaises.

Ces sagas sont des récits de l’ère viking transmis au fil des siècles. Mais comme pour le jeu du téléphone, certains détails ont été modifiés avec le temps. Finalement, quelques siècles après que les événements se soient produits, quelqu’un les a transcrits. Ainsi, si certaines parties sont archéologiquement vérifiables, beaucoup d’autres ne le sont pas.

Nous allons nous concentrer sur les deux récits qui font mention de l’Amérique du Nord, connus collectivement sous le nom de sagas du Vinland.

Voici à nouveau Loretta - notre interprète de Parcs Canada avec l’histoire du Vinland.

LD:Il y avait un commerçant appelé Bjarni qui avait l’intention de passer l’hiver avec son père en Islande. Quand il est arrivé en Islande, son père n’était plus là. Son père avait déménagé au Groenland, alors il a pris son bateau et son équipage, et a navigué vers le Groenland. N’y étant jamais allé, il ne savait pas vraiment à quoi ressemblait le Groenland, mais il a été dévié par une tempête. Il a vu cette terre et il a été conté que les hommes voulaient vraiment accoster et qu’il a refusé. Ils ont aussi vu un certain nombre de créatures mythiques et de choses comme dans les sagas.

Puis, ils sont passés devant une longue plage et toute cette zone boisée. Il y avait du bois de valeur là-bas évidemment, mais encore une fois, il ne voulait pas s’amarrer. Ce n’était pas le Groenland. Finalement, ils ont repéré une autre terre couverte de pierres plates. C’était une terre inutile, dit la saga. Ils ne se sont pas accoster. Ce n’était pas le Groenland. Cependant, il finit par revenir au Groenland et il décrit les terres qu’ils ont vues et les ressources qu’ils y ont découvertes. Ainsi Leif Erickson, qui est le fils d’un chef autoproclamé du Groenland, Éric le Rouge, décide qu’il va y aller. Mais il a dit qu’ils ont fait mieux que Bjarni puisqu’ils ont vraiment débarqué. Une fois débarqués, les sagas parlent de la rosée de l’herbe et de sa douceur, ainsi que des prairies. Ils ont même apporté leurs sacs de couchage sur la rive.

CB: Les sagas décrivent trois régions à l’ouest du Groenland. Pendant son expédition, Leif a nommé ces terres Helluland, Markland et Vinland. Les historiens considèrent que Helluland – la terre des pierres plates – est l’actuelle île de Baffin, Markland – la terre des forêts – représente le Labrador, alors que Vinland – qui se traduit par terre de vin ou terre d’herbe – correspond à Terre-Neuve et aux provinces maritimes du golfe du Saint-Laurent.

Les sagas décrivent le Vinland comme une terre d’abondance, pleine de ressources précieuses pour les Groenlandais, comme le bois et la fourrure. Et le campement de L’Anse aux Meadows faisait probablement partie de la région du Vinland. C’était un emplacement de choix, avec du poisson, de l’eau douce et du bois.... les clés d’un établissement côtier réussi. - mais le site avait beaucoup plus d’atouts

LD: Les Scandinaves ont choisi L’Anse aux Meadows comme site du camp de base parce qu’elle présentait certains avantages qui ne sont pas toujours perceptibles pour les gens modernes. L’Anse aux Meadows se trouve à l’extrémité de la grande péninsule du Nord qui s’avance dans l’océan. Il y a quatre grandes îles au large, pas trop loin du rivage, qui peuvent constituer des points de repère.

CB:Le choix d’un lieu doté de points de repère évidents et faciles à décrire a permis aux Scandinaves du Groenland de retrouver leur chemin.

Ils ont construit leur établissement sur un site surplombant une baie - par temps clair, il est possible de voir jusqu’au Labrador. Il y avait des collines ondulées avec de l’herbe longue et des arbustes, une forêt à proximité et, à l’ouest, un ruisseau qui coulait d’une tourbière jusqu’à l’océan - aujourd’hui, on l’appelle le ruisseau Black Duck.

Étant donné la proximité de L’Anse aux Meadows avec ce que l’on appelle aujourd’hui l’allée des icebergs, il y avait probablement des icebergs qui flottaient chaque été.

Les Scandinaves ont construit 8 maisons longues, la plupart d’entre elles étaient des quartiers d’habitation, qui semblaient jaillir organiquement de la terre, avec de l’herbe poussant sur les toitures.

LD: Les structures originales en tourbe de L’Anse aux Meadows ont été construites dans le style islandais. Cela signifie qu’il s’agit d’une structure en bois avec des couches de tourbe, des murs de tourbe, des briques de tourbe, essentiellement. Ils sont découpés dans la tourbière, en morceaux de 15 à 20 cm d’épaisseur et de 1,5 m de long

CB: La tourbe est présente à l’état naturel dans les tourbières et autres zones humides, et est constituée de couches de plantes en décomposition. Une fois récoltée et séchée, la tourbe peut être transformée en briques, que les Scandinaves utilisaient pour construire des murs solides et permettant une bonne isolation thermique.

LD: Et ils sont juste posés dans les murs. Comme on poserait des briques.

CB: Toute cette tourbe isolante dans les murs et le toit, ainsi qu’un foyer intérieur, étaient importants pour garder les Scandinaves au chaud tout au long d’un hiver du nord de Terre-Neuve.

Au total, cette colonie pouvait accueillir environ 80 résidents.

Certains bâtiments avaient un usage un peu différent. Après avoir quitté le Groenland, les Scandinaves devaient réparer leurs navires, et pour ce faire, ils avaient besoin de bois et de métal. L’une de ces maisons a donc été construite pour traiter le fer. Dans cette maison, les Scandinaves ont construit un four et une fournaise pour fabriquer des outils en fer et des clous - qui étaient nécessaires pour réparer leurs navires.

Cette colonie a très probablement servi de camp de base pour l’expédition de Leif Ericcson et d’autres explorateurs qui ont suivi, permettant une exploration plus poussée le long du golfe du Saint-Laurent. C’était aussi un endroit pour ramasser du bois, réparer leurs navires et les charger de ressources à ramener au Groenland - un dur labeur qui nécessitait des hommes forts. Mais les femmes avaient également des rôles importants à jouer dans la société nordique de l’époque, cuisinant, réparant les vêtements et s’occupant de la lessive et du nettoyage - et les sagas mentionnent que certaines femmes se joignent à au moins un des voyages vers le Vinland.

Avec tout le travail de maintien du fonctionnement de la colonie et d’exportation des ressources, c’était probablement un endroit fort animé.

Mais... après quelques décennies, il semble que les Scandinaves aient brusquement abandonné leur camp nord-américain et n’y soient jamais revenus.

L’utilisation du site de la colonie scandinave s’est poursuivie après leur départ, cette fois par des groupes des Premières Nations, dont les ancêtres des Béothuks. Les Innus du Labrador venaient occasionnellement dans la région pour chasser et piéger, et les Inuits du Labrador pour y faire du commerce. À partir du début des années 1500, les navires français venaient en saison pour pêcher la morue. À la fin des années 1700, des établissements familiaux ouverts toute l’année ont commencé à apparaître sur la côte nord de Terre-Neuve, notamment le village de L’Anse aux Meadows.

Au XXe siècle, 900 ans après le départ des Scandinaves, la recherche des avant-postes vikings est devenue un passe-temps populaire pour certains aventuriers, historiens et archéologues.

Au début des années 1900, un homme d’affaires de Terre-Neuve nommé William Azariah Munn a étudié les sagas et le littoral de Terre-Neuve et du Labrador, en essayant de trouver des traces du Vinland, disparu depuis longtemps. En 1914, il a publié une théorie dans le St. John’s Daily Telegram, selon laquelle la région de L’Anse aux Meadows était l’emplacement du campement de Leif Ericsson, mais il a fallu attendre un autre demi-siècle avant de trouver des preuves concluantes... Entre alors en scène Helge Ingstad.

Helge a commencé sa carrière en Norvège comme avocat, mais il avait de plus grandes ambitions et une soif d’aventure. Après avoir vendu son cabinet d’avocat, il a passé plusieurs années comme trappeur dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada, puis est devenu gouverneur d’une région appelée « Terre d’Erik le Rouge » - une partie du Groenland qui a été brièvement annexée par la Norvège dans les années 1930. Peu après, il a été nommé gouverneur du Svalbard.

En 1941, Helge épouse l’archéologue Anne Stine Moe. Ensemble, ils ont exploré les vestiges d’anciens avant-postes scandinaves le long de la côte ouest du Groenland, endroits correspondant aux sagas. Leurs aventures ont conduit à la recherche du Vinland. - À l’aide d’une carte créée par un érudit islandais au cours des années 1500 et de la brochurede Munn de 1914 comme références, Helge et Anne Stine ont passé la fin des années 1950 à parcourir la côte canadienne en bateau, en avion et à pied pour trouver les lieux légendaires de Helluland, Markland et Vinland.

HI:Il y avait toujours des déceptions.

CB: Voici Helge Ingstad qui raconte les recherches à une équipe de documentalistes de l’Office national du film du Canada.

HI: Lorsque j’ai interrogé les pêcheurs de Terre-Neuve au sujet des ruines, beaucoup d’entre eux secouait la tête et me croyait fou de vouloir chercher une telle chose au lieu d’occuper un emploi sérieux

Le tout dernier endroit où je suis arrivé s’appelle L’Anse aux Meadows. C’était un endroit très isolé, il n’y avait pas de routes. Ils vivaient tout seuls. C’est là que j’ai rencontré un vieux monsieur très gentil, du nom de George Decker. Oui, m’a-t-il dit tout de suite, il y a des ruines.

Il y avait une belle terrasse près du petit ruisseau Black Duck Brook. Sur cette terrasse, on pouvait voir les contours très, très fins de quelque chose qui avait dû être des habitations.

CB: Si le nom « Decker » vous semble familier, vous avez raison - George Decker, était un membre de la famille de Loretta Decker :

LD: George Decker était mon grand-père. Il a conduit les Ingstad sur le site et leur a montré les endroits où il y avait des vestiges évidents de bâtiments.

On pouvait suivre les contours des murs et pendant des générations, les gens savaient qu’à un moment donné, des autochtones avaient occupé ces terres, ils ne savaient rien des Scandinaves et des Vikings. Ils n’avaient aucune raison de supposer qu’il s’agissait d’autres peuples que des Autochtones à une certaine époque.

CB: Au cours des huit années suivantes, les Ingstad, en collaboration avec une équipe d’archéologues, ont découvert les secrets de L’Anse aux Meadows - un travail que Parcs Canada a ensuite poursuivi. Tous les objets archéologiques mis au jour au cours de cette première période appartiennent à la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

Birgitta Wallace: Je m’appelle Birgitta Wallace et j’ai d’abord été archéologue employée, puis archéologue principale pour la région Atlantique.

CB: Birgitta Wallace est maintenant à la retraite de Parcs Canada, mais a été l’une des archéologues principales lors des premières fouilles.

Elle vit à Halifax, en Nouvelle-Écosse, avec son mari, qu’elle a rencontré alors qu’elle travaillait à L’Anse aux Meadows.

Son engagement a commencé lorsqu’elle a rencontré Anne Stine lors d’une conférence. Ils ont réalisé leur passion commune pour l’histoire et l’archéologie scandinaves et Anne Stine a engagé Birgitta pour aider aux fouilles en 1964. Birgitta a quitté son emploi au musée Carnegie de Pittsburgh et s’est rendue dans le petit village de L’Anse aux Meadows.

BW: Il n’y avait pas d’électricité à L’Anse aux Meadows. Il n’y avait pas de route pour y accéder. C’était vraiment isolé.

CB:Même dans les années 1960, L’Anse aux Meadows était encore un petit village sans hôtel, et Birgitta a donc été hébergée par une famille locale.

BW: La fille de la maison, Mildred, qui avait alors 14 ans, s’est moquée de moi parce que je ne savais pas comment faire fonctionner une lampe à pétrole. Il n’y avait bien sûr pas d’eau courante ni d’installations d’aucune sorte.

Cet été là le temps était généralement très froid et humide, nous avions une petite cabane sur le site où nous pouvions faire du café.En fait, nous avons préparé du thé et nous ne vivions que pour les pauses, en creusant et en gelant. Le travail de fouille était très difficile, mais nous avons beaucoup ri.

CB: L’équipe a passé les années suivantes à fouiller les restes des bâtiments, à la recherche de preuves pouvant mener à la conclusion que le site était bel et bien scandinave. Birgitta, elle, était confiante :

BW: Je savais que c’était Scandinave, car j’avais vu des ruines identiques en Islande. Cependant, en 1964, lorsque j’étais là, Anne Stine m’a demandé de creuser une tranchée juste à l’extérieur de la plus grande maison. Elle était avec moi sur le site et il y avait un jeune garçon, Tony Birchy, dont le père soutenait activement les travaux sur le site.

Il creusait et voyait des choses, il n’arrêtait pas de dire, en montrant une pierre, « Est-ce que c’est quelque chose? Et ça? » Il a ensuite brandi une pierre, un petit morceau de stéatite en forme de beignet avec un trou au milieu. Il m’a dit : « Birgitta, est-ce que c’est quelque chose? » Et j’ai reconnu qu’il s’agissait d’une fusaïole, de type scandinave, utilisée à l’époque des Vikings. J’ai demandé à Anne Stine de s’approcher. Elle est venue me voir et m’a dit : « Tu es folle? ». Et nous avons sauté et dansé.

CB: Cette fusaïole était un outil européen courant utilisé pour filer la laine en fil, un artéfact qui pourrait sans aucun doute être lié aux Scandinaves. Il était utile pour fabriquer des tissus pour les vêtements et des voiles pour les navires.

BW: C’était donc, le premier élément officiellement trouvé. C’était une grande consolation pour nous tous. Je pense que c’était vraiment fascinant.

CB: En poursuivant leurs fouilles, Birgitta et son équipe ont trouvé une aiguille cassée fabriquée à partir d’os. Le fuseau et l’aiguille - des outils importants pour fabriquer et réparer les vêtements - donnent de la crédibilité aux références concernant les femmes du Vinland - y compris l’histoire de Gudrid, laquelle a donné naissance à un bébé nommé Snorri, le premier Européen né en Amérique du Nord.

Les fouilles ont également mis au jour une épingle de cape en bronze. Avant l’apparition des fermetures éclair, les épingles en bronze étaient couramment utilisées pour attacher les deux extrémités d’une cape ensemble. Une cape en laine drapée sur les épaules était un moyen de rester au chaud dans les climats froids.

L’une des découvertes les plus intéressantes, cependant, était un clou en fer unique et intact.

Le fer était essentiel pour les Scandinaves et leur mode de vie - c’était la matière première nécessaire à la fabrication d’outils qui leur permettaient notamment de cultiver, de chasser et de construire des navires.

Voici à nouveau Loretta.

LD: Le fer était donc très important pour les Scandinaves, car il les aidait à construire des navires de haute mer. Les planches des bateaux étaient superposées et clouées les unes sur les autres.

Ces joints étaient ensuite colmatés avec du goudron et de la laine de mouton pour assurer l’étanchéité.

CB:Soulignons que les bateaux scandinaves utilisaient également un type de clous en bois qui se comportent mieux dans les environnements océaniques humides, l’eau froide et salée préserve le bois au lieu de les faire rouiller comme les clous en fer.

BW: Nous étions vraiment excités de trouver un clou entier et dans un tel état...On pouvait voir qu’il avait été forgé à la main, mais sinon il ressemblait à un clou moderne.

CB: Or, les artéfacts en fer sont difficiles à dater, ce qui rend ardue de situer le clou trouvé dans la chronologie proposée de la colonisation scandinave.

Mais certains indices indiquent que le clou a été fabriqué à L’Anse aux Meadows par les Scandinaves.

BW: S’il n’avait pas été où il se trouvait, à environ 55cm de profondeur, bien en dessous de la surface et parmi des artéfacts que nous savions être scandinaves, nous aurions pensé qu’il s’agissait d’un clou moderne. Mais toutes ces circonstances nous ont fait réaliser que ce clou avait probablement été fabriqué ici même.

CB: La grande question demeure donc : d’où vient le fer?

La création du fer est une entreprise de grande envergure, même avec la technologie moderne, et pour les Scandinaves, c’était un processus extrêmement laborieux.

Essentiellement, les Scandinaves devaient ramasser du fer, sous forme de pépites de fer de tourbière, dans le ruisseau Black Duck voisin et dans la tourbière environnante. Le fer des tourbières ressemble à des roches brunes et se forme dans les tourbières. Toutes les plantes en décomposition produisent de l’acide tannique, laquelle extrait le fer de la roche qui se trouve en dessous, créant ainsi une sorte de soupe de fer. Lorsque l’eau ferrugineuse commence à s’écouler dans le cours d’eau, elle rencontre de l’oxygène et une réaction chimique crée de l’oxyde de fer, sous la forme de grumeaux de fer.

Ces morceaux sont recueillis et fondus, un processus qui consiste à faire chauffer le fer à haute température pour éliminer les impuretés. Le fer concentré est retiré et les résidus - appelés scories - sont jetés. Les barres de fer sont ensuite forgées (surchauffées et martelées) pour obtenir une forme telle qu’un clou ou un couteau.

Après avoir comparé les propriétés des tas de scories trouvés autour du site à celles du clou, les archéologues ont trouvé une correspondance parfaite, concluant que le clou avait été forgé à l’aide de fer de tourbe trouvé à L’Anse aux Meadows. C’est fascinant, car cela signifie que notre clou représente la plus ancienne preuve connue de la fusion du fer en Amérique du Nord.

Une question qui reste sans réponse est la suivante : les Scandinaves et les peuples autochtones de la région se sont-ils jamais rencontrés? Il n’y a pas beaucoup de preuves, mais un groupe d’artéfacts mis au jour à L’Anse aux Meadows pourrait fournir un indice : trois noix et une ronce de bois de noyer cendré. Le noyer cendré est un type de noyer qui est originaire de l’est de l’Amérique du Nord - mais pas de l’île de Terre-Neuve, - ce qui prouve peut-être que les Scandinaves ont poursuivi leurs explorations plus au sud, là où poussent les noyers, ou encore qu’ils commerçaient avec les peuples autochtones.

Depuis au moins 3 000 ans, de nombreuses cultures autochtones différentes, y compris des groupes pré-inuits comme les Groswater et les Dorset, et des peuples des Premières Nations comme les Beothuk et leurs ancêtres, vivent sur la côte du Labrador, sur l’île de Terre-Neuve et autour du golfe du Saint-Laurent.

Pour en apprendre davantage sur l’histoire des Autochtones à L’Anse aux Meadows, nous nous sommes entretenus avec Jenneth Curtis, une archéologue de Parcs Canada qui a étudié les fouilles autochtones à L’Anse aux Meadows et dans les environs.

Jenneth Curtis:Nous trouvons donc essentiellement les restes de leurs feux de camp, de la roche enflammée, du charbon de bois et des sols chauffés qui constituent des traces de leur passage. On trouve aussi quelques outils qui ont été abandonnés et certaines des preuves des activités de fabrication d’outils.

L’un de ces objets était un manche de harpon en bois, ce qui est une découverte très intéressante, il est très inhabituel de trouver un manche de harpon entier en bois. Il est actuellement exposé au centre d’accueil de L’Anse aux Meadows.

CB: Le carbone de ce manche de harpon date d’il y a 3000 ans, pendant l’occupation du peuple Groswater.

Mais plus près de l’époque des Scandinaves...

JC: Ainsi, les peuples autochtones qui vivaient probablement dans la région il y a environ 1000 ans auraient été les ancêtres des Premières Nations d’aujourd’hui, les Innus du Labrador et les Béothuks qui vivaient sur l’île de Terre-Neuve. Ces groupes étaient engagés dans un modèle d’habitation saisonnier.

Ils venaient régulièrement en été, pour chasser les oiseaux, ramasser les œufs et accéder aux ressources en bois.

CB: Quant à savoir si les Scandinaves et l’un de ces peuples se sont rencontrés, ce n’est pas clair.

JC: Nous avons dit que nous n’avions pas de preuves directes de la rencontre entre les Scandinaves et les peuples autochtones sur le site, mais l’une des choses que je trouve vraiment intéressantes, c’est qu’ils devaient savoir que d’autres personnes étaient là avant eux.

Lorsqu’ils sont arrivés sur le site de L’Anse aux Meadows, ils ont dû voir les restes d’une grande fosse de cuisson sur la terrasse que les Premières Nations avaient creusée quelques centaines d’années auparavant, et ils ont installé l’une de leurs maisons de terre juste à côté de ce grand trou. Les Scandinaves ont donc certainement remarqué qu’un autre peuple était là avant eux.

De même, les peuples autochtones qui sont venus sur le site après le passage des Scandinaves ont pu voir leurs huttes de terre, ainsi que les restes de bois et d’autres objets que les Scandinaves avaient laissés sur place.

CB: Il y a plusieurs hypothèses possibles pour expliquer pourquoi les Scandinaves ont abandonné L’Anse aux Meadows. Leur population dans les colonies du Groenland était faible, donc partir pour les voyages du Vinland signifiait moins de chasseurs et de fermiers à la maison.

Le Groenland étant déjà très éloigné de leurs partenaires commerciaux d’Islande et de Norvège, ils ne souhaitaient peut-être qu’un avant-poste pour explorer le Vinland et exporter des ressources. Des conflits avec au moins un groupe de peuples des Premières Nations peuvent également avoir influencé la décision de ne pas revenir.

Nous ne saurons peut-être jamais la véritable raison de leur départ, mais les preuves de leur séjour intriguent chercheurs et visiteurs depuis des décennies. Si vous avez la chance de visiter L’Anse aux Meadows, prenez quelques minutes pour imaginer à quel point le Canada que nous connaissons aujourd’hui serait différent si les Scandinaves étaient restés.

Et si vous n’êtes pas encore convaincu qu’une visite doit figurer sur votre liste de choses à faire au cours de votre vie, laissez-vous convaincre par un habitant de l’endroit.

LD: L’Anse aux Meadows est un endroit très spécial pour moi et ça l’a toujours été. Je me sens à ma place ici. C’est au bord de l’eau, à L’Anse aux Meadows, que je suis le plus à l’aise et le plus heureuse.

CB: Il y a aussi les couchers de soleil vraiment épiques, des baies délicieuses comme les pommes à cuire et les baies de perdrix, et même de temps en temps un iceberg à la dérive.

Le lieu historique national de L’Anse aux Meadows est ouvert tous les jours de juin à octobre. Pour vous y rendre, vous pouvez prendre l’avion à l’aéroport de St Anthony ou conduire pendant 4 heures au nord du parc national du Gros-Morne en suivant la route 430, la piste des Vikings. Le site archéologique peut être visité. De plus, vous pouvez passer un moment agréable avec les acteurs en costumes scandinaves dans les huttes de terre reconstituées du campement. Pour voir les étonnants objets archéologiques que nous avons mentionnés, rendez-vous au Centre d’accueil ou au musée provincial de Saint-Jean nommé, “The Rooms”.

L’émission Re:Trouver est produite par Parcs Canada. Un grand merci à Loretta Decker, Darrell Markewitz, et à Jenneth Curtis. Un merci tout particulier à Birgitta Wallace pour son aide dans la réalisation de cet épisode et pour sa contribution de toute une vie à l’histoire et à l’archéologie scandinaves. Ses efforts inlassables ont permis de faire connaître ce fascinant chapitre de l’histoire sur la scène mondiale, et en 2015, son travail a été récompensé par le prix Smith-Wintemberg, à savoir la plus haute distinction décernée par l’Association canadienne des archéologues.

Un grand merci également à la province de Terre-Neuve-et-Labrador pour l’utilisation de ses collections archéologiques et à l’Office national du film du Canada pour les clips audio de Helge Ingstad.

Ici, Christine Boucher. Merci d’avoir été des nôtres!

Pour profiter d’une foule d’extras, y compris une exposition sur la plateforme Google Arts et Culture avec des images d’artéfacts et des cartes de la région, veuillez jetez un coup d’œil aux notes de l’émission ou visitez parcs.canada.ca/retrouver

Bibliographie

Sources de publication

Bowles, Graham, Rick Bowker, and Nathan Samsonoff. “Viking Expansion and the Search for Bog Iron.” Platforum 12 (2011): 25–37.

Krauskopf, Konrad B. Introduction to Geochemistry. New York: Mcgraw-Hill, 1979.

Kristensen, Todd J., and Jenneth E. Curtis. “Late Holocene Hunter-Gatherers at L’Anse Aux Meadows and the Dynamics of Bird and Mammal Hunting in Newfoundland.” Arctic Anthropology 49, no. 1 (2012): 68–87.

Larsson, Mats G. “The Vinland Sagas and Nova Scotia: A Reappraisal of an Old Theory.” Scandinavian Studies 64, no. 3 (1992): 305–35.

Martin, Douglas. “Helge Ingstad, Discoverer of Viking Site, Is Dead at 101.” The New York Times, le 30 mars, 2001. https://www.nytimes.com/2001/03/30/world/helge-ingstad-discoverer-of-viking-site-is-dead-at-101.html (en anglais seulement).

Stanton, Mark R., Douglas B. Yager, David L. Frey, and Winfield G. Wright. “Formation of Geochemical Significance of Iron Bog Deposits.” Chapter E14 of Integrated Investigations of Environmental Effects of Historical Mining in the Animas River Watershed, San Juan County, Colorado, edited by Stanley E. Church, Paul von Guerard, and Susan E. Finger. U.S. Department of the Interior, U.S. Geological Survey, Professional Paper 1651, 2007. https://pubs.usgs.gov/pp/1651/downloads/Vol2_combinedChapters/vol2_chapE14.pdf (en anglais seulement).

Thomson, Ornolfur, and Bernard Scrudder, eds. The Sagas of Icelanders. New York, New York: Penguin Group, 1997. Consulté à: https://archive.org/details/sagasoficelander0000unse (en anglais seulement)

Wallace, Birgitta. “L’Anse Aux Meadows and Vinland: An Abandoned Experiment.” In Contact, Continuity, and Collapse: The Norse Colonization of North America, édité par Patricia Sutherland, 207-238. Belgium: Brepols Publishers, 2003.

Wallace, Birgitta. “L’Anse Aux Meadows, Leif Eriksson’s Home in Vinland.” Journal of the North Atlantic 2, no. 2 (2009): 114–125.

Wallace, Birgitta. “The Norse in Newfoundland: L’Anse Aux Meadows and Vinland.” Newfoundland Studies 19, no. 1 (2003): 6–43.

Wallace, Birgitta. “Viking Farewell.” Beaver 86, 6 (December 2006/January 2007): 16-24.

Wallace, Birgitta. “Finding Vinland.” Canada’s History (February 2018): 20-37

Films :

Maud, Ralph, dir. The Man Who Discovered America. Montreal: Office national du film du Canada, 1981. https://www.onf.ca/film/man_discovered_america/

Pettigrew, William, dir. The Vinland Mystery. Montreal: Office national du film du Canada, 1984. https://www.onf.ca/film/vinland_mystery/

Documents gouvernementaux

Rick, John. “The L’Anse Aux Meadows Site, Newfoundland.” La Commission des lieux et monuments historiques du Canada, Rapport 1968-40, 109-110.

“L’Anse Aux Meadows - an Archaeological Review and Status Report.” CLMHC, Rapport 1967-5, 79-81.

Stopp, Marianne. “The Norse Greenlandic Navigator.” Direction générale de la conservation et de la commémoration du patrimoine, Parcs Canada, 2014.

Stopp, Marianne. “The Norse Greenlandic Shipwright - Resource Notes.” Direction générale de la conservation et de la commémoration du patrimoine, Parcs Canada. 2014.

Grosse-Île: L'île de la quarantaine

Il y a très peu de lieux patrimoniaux dont l’histoire remonte à une catastrophe volcanique, mais le lieu historique national de la Grosse-Île et du Mémorial des Irlandais n’est pas un endroit ordinaire.

Pendant plus d’un siècle, une île du fleuve Saint-Laurent a joué un rôle important dans le parcours d’immigration de l’Europe vers l’Amérique du Nord. Scène d’espoir et de tragédie, ponctuée d’une série de crises meurtrières, la Grosse-Île abritait une station de quarantaine où sont passés près de 4 millions d’immigrants en route pour une nouvelle vie. Témoin des pandémies, des urgences sanitaires et du développement de la science médicale moderne, le lieu historique national de la Grosse-Île et du Mémorial des Irlandais est un puissant rappel de l’expérience des immigrants.

En apprendre davantage :

Le Programme national de commémoration historique repose sur la participation des Canadiens afin d’identifier les lieux, les événements et les personnages d’importance historique nationale. Tous les membres du public peuvent proposer un sujet afin qu’il soit étudié par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.

Obtenir plus d'informations sur la façon de participer à ce processus

Transcription

Voix: Vous écoutez un balado signé Parcs Canada. This podcast is also available in English.

CB: 1815. Mont Tambora, Indonésie du Sud.

La plus grande éruption volcanique de l’histoire projette un tourbillon des nuages de cendres et de fumée dans l’atmosphère, bloquant ainsi les rayons du soleil et modifiant radicalement les conditions météorologiques partout sur la planète.

L’un des nombreux effets de l’éruption du mont Tambora est une modification des nutriments océaniques dans le golfe du Bengale. Cette modification provoque la mutation d’une souche de bactérie qui sera à l’origine d’une pandémie de choléra et infectera des millions de personnes partout dans le monde.

Dix-sept ans plus tard, à 12 000 kilomètres de là, la menace imminente de la maladie mène à l’établissement d’une station de quarantaine près du port de Québec… sur une île appelée la Grosse-Île.

Je m’appelle Christine Boucher et vous êtes à l’écoute de ReTrouver – L’île de la quarantaine.

Parcs Canada est connu dans le monde entier comme un chef de file de la conservation de la nature, mais nous faisons bien plus que cela. Avec nos partenaires, nous commémorons les personnages, les lieux et les événements qui ont façonné le pays que nous appelons maintenant le Canada. Rejoignez-nous pour rencontrer des experts de tout le pays et explorer les lieux, les récits et les artéfacts qui donnent vie à l’histoire.

Il y a très peu de lieux patrimoniaux dont l’histoire remonte à une éruption volcanique catastrophique, mais cela dit, le lieu historique national de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais, au Québec, est tout sauf ordinaire. Pendant plus de 105 ans, l’île a été une porte d’entrée pour plus de 4 millions d’immigrants en route vers une nouvelle vie en Amérique du Nord... Lieu de grands espoirs et de grandes tragédies, et réponse à l’anxiété du public à l’égard des nouveaux arrivants, la Grosse-Île raconte l’évolution de la science et de la technologie médicales, une histoire ponctuée d’une série de crises mortelles…

Et tout a commencé à cause d’une pandémie.

Déjà en 1832, le choléra s’est propagé en Asie et en Russie et fait des ravages en Europe de l’Ouest, point de départ vers l’Amérique du Nord de la plupart des immigrants. Ce n’est qu’une question de temps avant que la maladie n’apparaisse dans le bourdonnant port de Québec. Commence alors la recherche d’un endroit où inspecter et retenir les navires ainsi que les passagers afin d’empêcher la propagation de la maladie en Amérique du Nord.

La Grosse-Île semble être cet endroit idéal. Située à 50 kilomètres en aval de la ville de Québec, elle est sur la route des navires qui, en provenance de l’Europe, suivent le fleuve Saint-Laurent. Il y a une bonne réserve d’eau douce et, comme il s’agit d’une île, elle est l’endroit tout indiqué pour garder les nouveaux arrivants à l’écart de la population du continent.

La Grosse-Île tire probablement son nom de la colline qui s’y trouve, l’une des plus hautes des environs, maintenant appelée Telegraph Hill.

Les plages rocheuses sont lavées par la marée et le parfum des pins plane dans l’air. L’endroit est paisible, mais les hivers peuvent y être rigoureux, et les vents violents et froids.

La présence des Autochtones sur l’île, confirmée par la mise au jour de têtes de flèche, de fragments d’outils en poterie et de traces de feux, date au moins des années 1200.

Ce secteur du fleuve Saint-Laurent fait partie des territoires traditionnels de plusieurs Premières Nations, lesquelles utilisent l’île comme site de chasse et de pêche pendant leurs déplacements sur le fleuve.

Les Européens commencent à s’installer le long du Saint-Laurent au début des années 1600, et la Grosse-Île est utilisée comme une terre agricole pendant quelques siècles.

En 1832, s’attendant à ce que le choléra soit présent sur les navires en provenance de l’Europe, le gouvernement exproprie les terres et demande aux militaires d’y établir une station de quarantaine.

Le choléra est une infection bactérienne qui se propage par des aliments et de l’eau contaminés et provoque, à cause des vomissements et de la diarrhée, une déshydratation grave chez la personne atteinte. Si l’infection n’est pas traitée, elle peut, en quelques heures seulement, causer le décès du malade. À cette époque, le choléra est mortel dans près de la moitié des cas. De nos jours, grâce aux méthodes d’assainissement, le choléra est beaucoup moins fréquent. Et lorsqu’il y a une éclosion, les traitements modernes et les vaccins aident à maintenir le taux de mortalité en dessous de 1 %.

Au cours des premiers mois à la Grosse-Île, les travailleurs construisent à hâte plusieurs bâtiments en bois dans la partie ouest pour accueillir les nouveaux immigrants, dont un hôpital de 48 lits, une morgue et un abri de quarantaine très rudimentaire – appelé une remise – où dorment en étroite proximité jusqu’à 300 personnes.

On trouve aussi, au centre de l’île, des logements pour les militaires et le personnel, ainsi qu’une batterie de canons pour obliger les navires à s’arrêter aux fins d’inspection.

La majorité des immigrants voyagent par bateau, en troisième classe, où ils sont entassés les uns sur les autres des semaines durant. La maladie, la faim et le mal de mer font des ravages, laissant bien des passagers physiquement et mentalement épuisés. Pour couronner le tout, les gros navires ne peuvent accoster à la Grosse-Île; les passagers doivent donc prendre place dans des chaloupes pour finalement arriver à destination. Cependant, les eaux du fleuve sont agitées, un immigrant les compare même à de l’eau qui bout dans un chaudron, et causent la mort de plusieurs personnes au cours de ce premier été lorsqu’une chaloupe se renverse.

Les passagers voyageant en classe cabine, c’est-à-dire la première classe dans les navires transatlantiques à passagers, ont un rang social supérieur et payent un supplément pour le luxe d’avoir de l’espace. En plus d’être mieux logés et nourris que les autres, les passagers de la première classe ont un avantage important : on suppose qu’ils sont en bonne santé et peuvent ainsi rester à bord pendant que les autres passagers sont mis en quarantaine sur l’île.

L’écrivaine anglaise Susanna Moodie, une passagère de première classe, immigre avec sa famille en août 1832. Voici ce qu’elle dit de la Grosse-Île :

Comédienne de doublage: Une foule de plusieurs centaines d’immigrants irlandais. Des hommes, des femmes et des enfants qui n’étaient pas confinés par la maladie dans les remises, étaient employés à laver des vêtements et à les étendre sur les rochers et les buissons pour les faire sécher. Les hommes et les garçons étaient dans l’eau, tandis que les femmes, dans leurs maigres vêtements remontés au-dessus des genoux, piétinaient leur literie dans des bassines, ou dans des trous dans les rochers, que la marée avait laissés à moitié remplis d’eau.

La confusion parmi eux était évidente, Nous étions littéralement étourdis par les querelles de langues.

CB: À mesure que l’été avance, l’hôpital et les installations de quarantaine déjà bondés n’arrivent pas à suffire à l’arrivée massive des immigrants. Des personnes en bonne santé attrapent le choléra pendant qu’elles sont dans les abris de quarantaine, qui sont pleins à craquer. Des personnes contagieuses mais ne présentant pas de symptômes passent l’inspection médicale et se rendent à Québec, provoquant ainsi… une épidémie de choléra, ce que la Grosse-Île était justement censée prévenir! La maladie se propage rapidement à Montréal et dans plusieurs autres endroits en Amérique du Nord. À la fin de 1832, tandis que s’achève la pandémie, on compte plus de 3 000 victimes à Québec seulement.

Au cours des 15 années suivantes, la direction de la station de quarantaine est transférée de l’armée au gouvernement, et on assiste à une amélioration des installations. Le nombre de bâtiments double, et on compte 200 lits d’hôpitaux et des installations pouvant accueillir 800 immigrants en santé. En temps normal, ce serait suffisant pour accueillir les nouveaux arrivants, mais ce n’est pas assez pour faire face à la crise qui survient en 1847… loin de là!

Au début des années 1840, le mildiou de la pomme de terre, une maladie causée par un champignon, commence à décimer les cultures de pommes de terre dans toute l’Europe de l’Ouest.

L’une des régions les plus durement touchées est l’Irlande, où une seule espèce de pomme de terre, le Lumper irlandais, est la source principale de nourriture et de revenus de la plupart des 8 millions d’habitants. L’énorme perte de cultures cause ce que l’on appellera la Grande Famine.

Bon nombre des familles agricoles irlandaises sont affamées et appauvries et donc incapables de payer le loyer de leur terre. Elles sont expulsées par les propriétaires anglais et n’ont pas d’ autre choix que de s’embarquer à bord de navires bondés à destination de l’Amérique du Nord.

Comme nous le savons maintenant, les personnes souffrant de malnutrition sont plus susceptibles de contracter des maladies et des infections. Au début de 1847, le surintendant médical de la Grosse-Île, le Dr George Mellis Douglas, prévient ses supérieurs de s’attendre à « une augmentation de la maladie et de la mortalité ».

Sa prédiction ne tarde pas à se concrétiser. Une fois le fleuve Saint-Laurent libéré de ses glaces, on commence à voir déferler un flot constant de ce qu’on appellera des « navires-cercueils », des navires ayant à leur bord un grand nombre de passagers malades et mourants.

Yvan Fortier, historien à Parcs Canada, nous parle des navires-cercueils, appelés en anglais coffin ships :

YVAN FORTIER: À partir de plusieurs ports, des navires vont quitter avec une véritable cargaison humaine. Mais ceux qui arrivaient ici, très généralement, étaient menés par des capitaines qui ne respectait pas ses orders. On avait des navires qui disposait de moins de

dix pieds carrés par personne. Il s’agissait d’avoir à bord une ou deux personnes qui avaient une maladie pour la communiquer à un nombre impressionnant des gens qui étaient dans les cales du bateau. Et à ce moment-là, le navire allait être infecté et ils n’a eu même plus la force de les jeter à la mer et il y avait un nombre important qui a été jeté à la mer lors de la traversée atlantique.

CB: De nombreuses maladies se propagent sur les navires-cercueils, mais la plus fréquente, c’est le typhus, une infection bactérienne transmise par les poux. C’est aussi la plus mortelle.

Les navires remplis d’immigrants arrivent en si grand nombre qu’ils forment une ligne de plusieurs kilomètres sur le fleuve Saint-Laurent. Même si les travailleurs s’empressent de construire des bâtiments, la Grosse-Île n’est pas prête à recevoir le nombre incroyable de personnes qui ont besoin d’être inspectées, mises en quarantaine et traitées.

On sent tout le désespoir dans une lettre rédigée le 1er juin 1847 par Alexander Mitchell, capitaine du Argo, un des nombreux navires qui attend sur le fleuve.

Comédien de doublage: Messieurs, les choses vont de pire en pire. Il n’y a pas un seul de mes malades qui est sorti du bateau. Le seul soulagement se fait ressentir lorsque nous les portons au cimetière, ce que nous faisons tous les jours. J’ai trois cadavres à bord; et j’en ai plus ou moins tous les jours, nous devons maintenant nous en remettre au destin, quel qu’il soit.

Il y a environ 35 navires, toutes les remises et tous les hôpitaux sont déjà remplis de malades. J’ai au moins 12 000 passagers à bord.

CB: Enfin, les installations sur la Grosse-Île sont tellement bondées qu’on renonce à la période de quarantaine. Les immigrants qui semblent être en bonne santé sont envoyés directement sur le continent, tandis que les malades sont traités sur place — d’abord dans les hôpitaux, puis dans les remises destinées aux nouveaux arrivants en santé.

Un immigrant décrit ce qu’il a vu quand il était enfant sur la Grosse-Île :

Comédien de doublage: Je suis un vieil homme maintenant, mais il y a des scènes que je n’oublierai jamais; j’ai vu des parents laisser leurs enfants, des frères être séparés de leurs sœurs, et des maris et femmes être séparés les uns des autres sans savoir s’ils allaient un jour se revoir.

CB: Le Journal de Québec publie une lettre anonyme, probablement écrite par une infirmière travaillant dans un des hôpitaux :

Comédienne de doublage: Je ne peux pas vous décrire les horreurs et la misère que j’ai vues. au moins treize mille cas terribles de typhus, en plus de plusieurs cas de variole et de rougeole. Les gens meurent sous nos yeux. Les corps sont transportés à la maison des morts dans des brouettes.

CB: Au cours de cette année tragique, près de 100 000 immigrants arrivent à la Grosse-Île; la grande majorité d’entre eux étant des Irlandais.

Lorsqu’on émerge finalement du chaos, le bilan est sombre : 5 424 personnes ont été inhumées dans le cimetière de la Grosse-Île, et un grand nombre d’entre elles sont enterrées dans des fosses communes anonymes. Des milliers d’autres personnes sont mortes en mer et sur le continent.

Dans les années qui suivent, d’autres éclosions de maladies frappent en Amérique du Nord et dans d’autres pays, et la station de quarantaine demeure la première escale de la plupart des immigrants et voyageurs européens.

Nous voilà maintenant en 1867, 20 ans après la famine en Irlande. Le gouvernement d’un Canada nouvellement uni s’emploie à attirer de plus en plus d’immigrants européens pour répondre aux besoins en main-d’œuvre et pour coloniser les Prairies et d’autres terres prises aux peuples autochtones.

Un réseau de stations d’immigration voit le jour au pays, et des installations sont construites notamment sur l’île Partridge, au Nouveau-Brunswick, au Quai 21, en Nouvelle-Écosse, et à William Head, en Colombie-Britannique. Ces installations permettent aux autorités d’inspecter les immigrants et d’aider ceux dont l’entrée a été accordée à commencer leur nouvelle vie.

Nous avons parlé avec David Monteyne de l’Université de Calgary, qui est docteur en histoire de l’architecture. Son dernier livre porte sur les stations d’immigration canadiennes.

David Monteyne: La Grosse-Île garde son importance après la Confédération, mais elle devient moins importante d’une certaine façon pour l’histoire de l’immigration et plus importante pour d’autres histoires comme celle de l’édification de la nation. Donc, essentiellement, le Canada considère que la quarantaine et le contrôle du processus d’immigration sont un moyen pour lui de légiférer de façon indépendante de la Grande-Bretagne.

CB: Grâce à quelques registres médicaux ancien qui se trouvent dans la collection de Parcs Canada, on sait que de nombreux Européens transitent par la Grosse-Île à cette époque. La plupart d’entre eux viennent de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande, mais il y a aussi des patients de la Norvège, de la Suède, du Portugal, de l’Allemagne et de l’Italie.

En 1866, un nouveau médecin, Frederick Montizambert, arrive à la Grosse-Île, où il est d’abord médecin-inspecteur, puis surintendant médical à partir de 1869, un poste qu’il occupe pendant 30 ans. Il sera l’initiateur d’une modernisation majeure des installations.

YF: Frederick Montizambert arrive ici à titre de médecin assez costaud, et il est en quelque sorte la cheville ouvrière qui va faire changer ou qui va aiguiller Grosse-Île dans une direction tout à fait différente.

CB: Au cours de son mandat, le docteur Montizambert tient compte des avancées médicales et technologiques pour améliorer les façons de faire sur la Grosse-Île.

Il est l’un des premiers à adopter la théorie des germes, une des plus importantes avancées médicales du dix-neuvième siècle. L’idée que des micro-organismes comme les bactéries, invisibles à l’œil nu, puissent causer des maladies est largement acceptée de nos jours, mais c’était un concept révolutionnaire à l’époque.

Jusque-là, les principales théories expliquant pourquoi les gens tombent malades sont axées sur l’équilibre des humeurs, c’est-à-dire les liquides qui se trouvent dans le corps humain, comme la bile et le sang.

Christine Chartré: C’est basé sur la théorie des humeurs, la nature, la température, les organes. Quand il y a un débalancement, il y a la maladie.

CB: Voici Christine Chartré, une historienne à Parcs Canada qui est spécialiste des maladies à la Grosse-Île.

CC: Quand on peut rétablir l’équilibre, on retrouve la santé. Donc considère que les vomissements, les diarrhées, tout ça, c’est la nature qui fait ça pour manifester le problème.

CB: Par compte, avant l’avènement de la théorie des germes, la maladie était plutôt attribuée au miasme qui supposait que ces dernières étaient le produit de facteurs environnementaux tels que notamment, des conditions d’hygiène déplorable ou de l’eau polluée.

Le docteur Montizambert utilise les concepts de la théorie des germes pour accroître l’efficacité de la quarantaine en mettant en place des procédures de désinfection et des laboratoires médicaux et en s’assurant que les malades sont isolés des personnes en santé pour éviter de les infecter.

CC: À la fin du 19e siècle on a trouvé les causes de plusieurs bactéries la dysenterie, la diphtérie, différentes maladies et on a développé des tests qui permettaient de confirmer que quelqu’un qui faisait de la fièvre, des vomissements, diarrhées, tout ça avec quelle maladie? Ça a été une avancée.

CB: On peut voir aujourd’hui plusieurs bâtiments et des machines qui ont été construits sous la direction du docteur Montizambert à la Grosse-Île.

Nous avons parlé à Margot Wright, une descendante du docteur Montizambert, qui nous a raconté quelques histoires sur la vie et la carrière du médecin :

Margot Wright: Je m’appelle Margot Wright. Je suis l’arrière-arrière-petite-nièce du docteur Frederick Montizambert.

On dirait bien qu’il était tout un personnage. Il avait assurément une forte personnalité et il a vraiment poussé pour moderniser la santé publique sur l’île. En fait, peu après son arrivée, il est tombé malade, conséquence de ses rencontres avec les immigrants qui arrivaient à l’île. Il a attrapé le typhus et il a guérit, ce qui n’est pas rien, parce que quelques-uns de ses collègues, des médecins qui examinaient les immigrants, sont tombés malades et sont morts … c’est peut-être parce qu’il était jeune et fort qu’il a survécu.

CB: Après plus de 30 ans à la Grosse-Île, le docteur Montizambert devient le premier directeur général de la santé publique du Canada. Il a même su conserver son sens de l’humour.

MW: Il y a une belle anecdote à la fin de son avis de décès; un de ses amis, je pense que c’était le chef de la santé publique du gouvernement de l’Ontario, les deux avaient l’habitude de dîner ensemble quand Montizambert travaillait à Ottawa. Vers la fin de l’un de ces dîners, Montizambert disait : « Ce gouvernement a bien peu d’égard pour nous, il s’attend à ce que nous travaillions entre les repas. » J’ai trouvé ça plutôt drôle.

Je crois que c’était un homme intelligent, un homme remarquable, qui a fait valoir plusieurs choses et aujourd’hui je suis contente qu’il l’ait fait. Je suis contente qu’il ait cru en la science moderne et qu’il ait voulu améliorer la sécurité non seulement pour la population du pays, mais aussi pour les immigrants qui arrivaient ici, avec une approche moderne pour la santé publique. Je suis fière de ça.

CB; Le docteur Frederick Montizambert est reconnu comme un personnage d’importance historique nationale en raison de ses nombreuses contributions à la médecine et à la science.

Pour illustrer ce qu’était la quarantaine, nous allons raconter l’expérience de deux immigrants qui arrivent à la Grosse-Île au début des années 1900, soit John Morris, de l’Angleterre, qui voyage en première classe et Mary O’Leary, de l’Irlande, qui voyage elle en troisième classe.

Ce sont des personnages fictifs, mais nous avons fondé leur histoire sur des expériences réellement vécues par des immigrants.

Nous sommes en mai 1912. John ouvre la fenêtre de sa cabine, sur le paquebot, pour prendre une bouffée d’air frais du Saint-Laurent. Il vient de passer les 10 derniers jours dans une cabine de première classe à dormir sur des draps luxueux et à se régaler dans la salle à manger où il profite d’un service complet aux tables. L’avènement des voyages par navire à vapeur a considérablement réduit le temps que les voyageurs passent en mer.

Il y a des passagers malades à bord, alors, au grand désespoir de tout le monde, on annonce une période de quarantaine.

DM: Quand un navire arrivait avec des immigrants de l’Europe, il remontait le Saint-Laurent et le médecin partait de la Grosse-Île et allait inspecter le navire. Donc, s’il voyait des signes de maladie à bord, il mettait le navire en quarantaine et les gens restaient à la Grosse-Île le temps qu’il fallait pour faire leur quarantaine.

CB: John monte à bord d’un bateau-navette qui le transporte jusqu’à l’île, puis il foule le sol canadien pour la première fois. Il est accueilli par le personnel de la Grosse-Île, qui l’emmène avec ses effets personnels dans le bâtiment de désinfection de deux étages. Il se tourne pour regarder le quai et voit les passagers de la troisième classe mettre pied avec lassitude sur l’île de la quarantaine.

Mary est l’un de ces passagers. Elle a quitté son foyer en Irlande dans l’espoir d’une vie meilleure. Il lui tarde de quitter ce navire où elle a passé 10 jours à dormir dans une pièce exiguë remplie de lits superposés. Pour échapper à cette proximité, elle a passé la plupart de ses jours à marcher sur le pont.

Une fois les passagers débarqués — la plupart se rendent au bâtiment de désinfection, tandis que les passagers visiblement malades sont transportés directement à l’hôpital — le personnel de la Grosse-Île se dépêche de désinfecter le navire.

YF: Et quand aux navires, au lieu de les brosser au savon, ce qui pouvait prendre une éternité. Dorénavant, on va les désinfecter au bichlorure de mercure, ce qui va aller beaucoup plus vite, évidemment, et qui va permettre la remontée plus rapide en direction du Port de Québec.

CB: Le bichlorure de mercure est le principal désinfectant utilisé à la Grosse-Île. Il est bon pour tuer les micro-organismes, mais est très toxique pour les humains, sauf en très petites quantités. Il n’est pas largement utilisé aujourd’hui puisqu’il existe d’autres produits plus sûrs comme l’eau de Javel.

Après le lavage au bichlorure, l’intérieur du navire est fumigé au dioxyde de soufre pour tuer tous les petits passagers clandestins comme les rats et les poux.

Avant d’entrer dans le bâtiment de désinfection en bois, John, Mary et les autres passagers en bonne santé placent leurs effets personnels dans des sacs numérotés. Le personnel place ces sacs dans de grandes boîtes grillagées, puis les dépose dans des wagons, prêts à être désinfectés.

Un médecin-hygiéniste explique le processus.

Voix de doublage : Premièrement, vous devrez être désinfectés ainsi que vos effets personnels. À votre arrivée, vous avez placé vos bagages dans des sacs numérotés et présentement, ces sacs sont acheminés aux étuves pour être soumis à une vapeur sèche produite dans la salle des chaudières. La vapeur est surchauffée à 115 degrés Celsius afin d’éliminer toute forme de maladie. Vos effets personnels resteront près de 40 minutes à la hausse de température.

CB: La vapeur sèche, aussi appelée vapeur saturée, est produite en surchauffant l’eau. Elle contient moins de 1 % d’humidité; c’est donc plutôt un éclaboussement à l’air très chaud qu’un sauna à vapeur. Le processus fonctionne un peu comme la pasteurisation, on utilise la chaleur pour tuer les pathogènes.

Les chambres à vapeur sèche sont des boîtes d’acier d’environ 7 mètres de profondeur, avec des rails sur le plancher pour que les wagons puissent y être poussés et retirés.

Le médecin-hygiéniste explique la prochaine étape : une douche désinfectante.

Voix de doublage : Celle-ci se décline en deux étapes. Vous pourrez vous changer en toute intimité dans la première cabine afin de nous remettre vos vêtements pour les soumettre à la désinfection dans les étuves. Par la suite, vous rentrerez dans la douche qui vous arrosera pendant quinze minutes.

CB:Les passagers sont escortés jusqu’à la salle des douches où un corridor au plancher de bois sépare 44 cabines en acier. Chaque cabine est munie d’une porte en métal et surmontée d’un treillis métallique… pour empêcher les gens d’épier leurs voisins.

Dans la cabine, il y a une pomme de douche en haut qui vaporise de l’eau et trois barres horizontales incurvées qui ressemblent un peu à des cerceaux en métal munis de plusieurs buses. Chaque barre est placée à une hauteur différente.

Soudainement, les jets s’allument, et l’eau sort du haut et des côtés pour arroser les gens avec un mélange d’eau chaude et… de bichlorure de mercure dilué.

John est bien content de prendre une douche chaude après le long périple, mais Mary, comme bien d’autres passagers de la troisième classe, est un peu mal à l’aise – elle ne sait pas ce qu’est une douche, s’étant seulement lavée dans un bain dont l’eau avait été chauffée sur un feu.

Après 15 minutes, les douches s’éteignent et le personnel remet les vêtements maintenant désinfectés à leurs propriétaires.

Une fois habillés, les passagers sont à nouveau inspecté par le personnel médical qui cherche des signes de maladie et les cicatrices révélatrices qui confirment l’inoculation contre la variole — une exigence légale pour entrer au Canada, dont le docteur Montizambert est l’instigateur.

Mary n’a pas encore été vaccinée contre la variole; les médecins lui donnent donc le vaccin dont elle a besoin pour être autorisée à entrer au Canada.

Par la suite, John et Mary reçoivent des certificats indiquant qu’ils sont en bonne santé, vaccinés et désinfectés. Ils retrouvent leurs bagages et se rendent aux logements à proximité où ils termineront leur période de quarantaine obligatoire.

DM: Sur la Grosse-Île, au lieu des dortoirs, il y a un hôtel de troisième classe, qui est en quelque sorte des chambres partagées entre trois ou quatre personnes. Il y a aussi un hôtel de deuxième classe et un hôtel de première classe, qui lui est relativement luxueux et ressemble à un centre de villégiature.

CB: Ayant un billet de première classe, John a droit à une chambre privée dans l’hôtel de première classe, perché sur le littoral rocheux de l’île...

DM: L’idée était donc de faire durer le plus possible cette expérience de première classe. On mettait vraiment en valeur la vue sur le fleuve et la campagne qu’offrait l’hôtel. Une grande véranda fait tout le devant de l’hôtel de première classe pour que les gens puissent s’y asseoir et en profiter le plus possible, comme dans un centre de villégiature.

La nourriture est servie souvent dans l’hôtel de première classe, probablement par le cuisinier du navire. Au rez-de-chaussée, il y a une grande salle à manger où les gens s’installent et profitent du foyer et d’un service aux tables complet. À l’étage, il y a une pièce qui rappelle les salles de bal où on propose des activités de loisir.

CB: Mary marche jusqu’à son hôtel de troisième classe et trouve sa couchette dans la grande chambre de style dortoir. Il n’y a ni salon ni espace commun, mais elle peut aller se promener jusqu’à Telegraph Hill lorsqu’elle a besoin de s’éloigner des autres immigrants en quarantaine.

DM: La plupart des gens voyageant en troisième classe à bord du navire n’auraient jamais connu la vie à l’hôtel. Ils ne s’attendaient donc pas nécessairement à une expérience de centre de villégiature de première classe.

Ils ne s’attendaient jamais à ce que quelqu’un les serve ou s’occupent d’eux.

CB: Tôt le matin du cinquième jour de sa quarantaine, Mary se réveille avec une fièvre et découvre quelques petites bosses rouges sur ses bras. Elle alerte le personnel de l’hôtel, qui appelle une ambulance pour l’emmener à l’hôpital de l’autre côté de l’île. Garder les hôpitaux loin des hôtels fait partie de la stratégie visant à prévenir la propagation des maladies.

Un wagon tiré par des chevaux noirs, l’ambulance de la Grosse-Île, arrive à son hôtel. Dans un brouillard d’angoisse et d’inconfort, Mary monte dans le wagon et attend son sort.

L’ambulance suit la route qui traverse l’île, passant devant un poste de garde, le cimetière et le village où vivent les membres du personnel de la Grosse-Île avec leur famille.

DM: Il y avait une école, de petites chapelles, tout ce qu’on peut s’attendre à trouver dans un village.

CB: L’ambulance approche de l’extrémité est de l’île et Mary voit apparaître les hôpitaux.

Le conducteur fait alors sonner la cloche en métal en appuyant sur une pédale pour avertir le personnel médical de se préparer à recevoir un nouveau patient.

Un médecin examine Mary et confirme ses craintes – elle a contracté la variole, probablement après y avoir été exposée à bord du navire, avant sa vaccination.

La variole est une maladie causée par un virus qui se propage d’une personne à l’autre et qui est caractérisée par une forte fièvre, des courbatures et des lésions sur tout le corps, aussi appelé des pustules. Véritable fléau, cette maladie causera un très grand nombre de décès tout au long de l’histoire, et décimera les populations autochtones de l’Amérique du Nord après la colonisation européenne.

On emmène Mary à l’hôpital réservé aux personnes atteintes de la variole, un long bâtiment fait entièrement de bois, avec de grandes fenêtres donnant sur le fleuve. C’est l’un de plusieurs hôpitaux sur l’île et aussi l’un des plus anciens bâtiments; il date de l’époque de la famine irlandaise.

Le blanc est la couleur dominante pour toutes les surfaces, à l’intérieur du bâtiment…

YF: Les bâtiments de la première génération étaient des bâtiments qui étaient chauler à l’intérieur et à l’extérieur. Pourquoi? Parce que la chaux, d’une part, pour l’extérieur, permet de lutter contre les micro-organismes qui pourraient se loger dans les toitures en bardeaux, dans les revêtements de déclin, ainsi de suite.

CB: Le lait de chaux, qui sert au blanchissage des surfaces, est un type de peinture antiseptique que les humains utilisent depuis des milliers d’années. Pour le fabriquer, on réduit le calcaire en poudre, on le mélange à de l’eau, puis on l’utilise pour peindre des surfaces.

Voix de doublage: Bienvenue à l’hôpital numéro 4, l’hôpital pour les variolés. Alors, je suis Sara Wade, je suis l’infirmière qui prendra soin de vous. Donc, êtes passé par l’inspection médicale sur le navire avant de débarquer. Le docteur a dû inspecter la couleur de votre langue, vos yeux, également, si vous faisiez de la fièvre, les ganglions peut-être anormalement enflés, qui serait un symptôme que vous combattez une infection. Alors si vous êtes débarqués ici au qué de l’est et amené à l’hôpital, malheureusement, vous êtes porteurs d’une maladie infectieuse. Donc on va pouvoir vous garder alités pendant deux ou trois semaines si nécessaire. Puisque même part les sécrétions dans l’air, les gouttelettes, on peut contaminer d’autres personnes. Et, lorsque même quand vous êtes encore à l’essence les pustules vont sécher et la poudre qui sécrète va s’attacher au murs, et au vêtements et encore là, peut être contagieux. Alors, on vous garde à l’écart de l’hôpital principal.

CB: L’infirmière escorte Mary dans l’hôpital.

DM: C’est une salle ouverte. Donc, les lits sont tous placés en rangée. En général, c’est un lit, une fenêtre, un lit, une fenêtre, un lit, une fenêtre. Tout le monde peut donc se voir. Il y a beaucoup de fenêtres pour créer une ventilation croisée. Il y a donc généralement un bon courant d’air et la pièce est fraîche. Et il y a un poste de soins infirmiers à une extrémité de la salle, de sorte que l’infirmière peut, d’une certaine façon, garder un œil sur tout le monde en même temps.

CB: Elles entrent dans la dernière pièce, et Mary se sent immédiatement écrasée par la couleur rouge. Les murs sont rouges, les couvertures sont rouges, même le verre des fenêtres est de la couleur rubis.

Le concept de la pièce rouge est semblable à celui de la « chambre noire » d’un photographe, qui exige l’absence de lumière pour créer des photos à partir de négatifs. La lumière rouge est parfaite pour une pièce sombre — c’est ce qui se rapproche le plus de la noirceur totale, tout en permettant quand même de voir ce que l’on fait.

Dans l’hôpital pour les patients atteints de la variole, tout ce rouge adoucit l’espace pour ceux qui ont des pustules sur les yeux et les paupières, lesquels rendent la lumière du soleil insoutenable. On croit aussi que le rouge pourrait aider à atténuer les cicatrices.

Dans le mois qui suit, Mary se rétablit lentement. Il n’y a pas de médicaments qui peuvent aider à traiter la variole; les infirmières lui donnent des bains froids et couvrent ses éruptions cutanées de gelée de pétrole. Lorsqu’elle est au plus mal, on lui donne du lait, de l’eau et de l’orge… ainsi que des opiacés pour la douleur.

Pendant ce temps, à l’hôtel de première classe, John continue d’attendre, et ne présente jamais de symptômes de la maladie. Il ne sait pas vraiment combien de temps durera sa quarantaine et il commence à s’impatienter.

DM: Au XIXe siècle, la plupart des gens parlent d’une quinzaine, donc environ deux semaines. Mais là encore, tout dépend de la situation.

CB: Une fois que Mary est complètement rétablie, elle monte à bord d’un bateau-navette pour se rendre jusqu’au port de Québec. John a terminé sa quarantaine des semaines plus tôt.

DM: Une fois votre quarantaine terminée, vous êtes envoyé à Québec. Là, il y a un bâtiment directement sur le bord de l’eau, un bâtiment de quai semblable à celui du Quai 21 à Halifax, qui lui a survécu alors que celui de Québec n’y est plus. Et là, il faut passer, encore une fois, une inspection médicale et civile. L’inspection médicale au bâtiment du quai est beaucoup plus du genre : Est-ce que c’est une personne en bonne santé qui va contribuer à la société? Et après, l’inspection civile est plutôt du type : Avez-vous un peu d’argent pour commencer votre nouvelle vie? Avez-vous déjà un emploi qui vous attend ou une terre où vous prévoyez de vous installer? Et d’autres questions du genre, qui ne sont pas des questions médicales. Vous passez donc par ça, à Québec.

CB: Après s’être rétablie, Mary choisit de s’installer près de Montréal. Pour John, comme pour de nombreux autres immigrants, Québec n’est qu’une escale de plus dans son parcours d’immigration au Canada et aux États-Unis.

John et Mary sont des personnages fictifs, mais leur histoire est inspirée des documents historiques et des bâtiments et paysages que l’on voit sur la Grosse-Île encore aujourd’hui. Les voix que vous avez entendues sont celles d’historiens et d’interprètes de Parcs Canada. Ce ne sont pas des archives audio.

Puisque la prévalence des maladies contagieuses diminue dans les années 1920 et 1930, le besoin d’une station de quarantaine diminue lui aussi.

DM: On ne l’a pas beaucoup utilisée au cours des deux décennies précédentes. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, les gens sont juste généralement en meilleure santé. On procède désormais à des inspections médicales à l’étranger durant les années 1910 et 1920. Donc, les immigrants font l’objet d’examens de santé et d’examens médicaux avant même de monter à bord d’un navire. Il y a donc moins de risque de maladie. Vous savez, en ce qui concerne le fait d’avoir moins de patients, c’est aussi qu’il y a moins d’immigrants. Il y a eu une très grande vague d’immigration de 1910 à 1913.

Puis, la Première Guerre mondiale a éclaté. Évidemment, il n’y a pas d’immigration, et il faut quelques années, dans les années 1920, avant que l’immigration reprenne. Et à la fin des années 1920, il y a beaucoup plus d’immigration. Mais les chiffres sont loin d’être comparables à ceux d’avant la Première Guerre mondiale, et les gens sont en meilleure santé et ainsi de suite. Il n’y a juste plus vraiment personne qui est mis en quarantaine à la Grosse-Île. En fait, il y a des débats intéressants au Parlement sur le fait de la garder ouverte ou non. Et pendant longtemps, ils la gardent ouverte, d’une certaine façon pour l’image. Mais la réalité, c’est qu’on ne s’en sert pas beaucoup. Donc, au bout du compte, ils décident que ça ne vaut pas la peine de la garder ouverte.

CB: La station de quarantaine ferme finalement ses portes en 1937.

Dans les années qui suivent, la Grosse-Île est utilisée, entre autres, comme installation de recherche agricole et, à un moment donné, comme poste de quarantaine du gouvernement, mais, cette fois, pour les animaux de ferme importés au Canada.

En 1974, la Grosse-Île est désignée lieu historique national et, en dans les années 90s, le lieu ouvre ses portes au public après avoir fait l’objet d’un vaste projet de restauration qui comprenait, entre autres, la remise en état de l’hôpital de la variole, lequel était devenu un poulailler ainsi que de sa chambre rouge. Trouver comment procéder à la remise en état du bâtiment n’a pas été une tâche facile parce que, dans les années 1870, un incendie a détruit beaucoup de bâtiments originaux et la majorité des documents - c’est pourquoi les registres dont nous avons parlé plus tôt sont si précieux pour les chercheurs en immigration.

Les milliers d’immigrants qui ont perdu la vie à la Grosse-Île ou pendant leur voyage vers une vie nouvelle n’ont pas été oubliés :

Aujourd’hui, en plus des bâtiments encore debout, on trouve sur l’île deux monuments commémoratifs et trois cimetières.

Une croix celtique en granit s’élève à 15 mètres de haut sur une falaise rocheuse de Telegraph Hill, à la mémoire des immigrants irlandais venus au Canada pendant la Grande Famine. Érigée en 1909 par une organisation fraternelle irlandaise appelée Ancient Order of Hibernians, elle ressemble à une croix normale, mais avec un cercle stylisé autour du point d’intersection.

En 1998, Parcs Canada a ajouté un deuxième monument : un muret de pierres empilées de 10 mètres de diamètre, entouré d’un panneau de verre portant les noms de plus d’environ 8 000 personnes qui sont décédées à la station de quarantaine de la Grosse-Île pendant les cent ans qu’elle a été en exploitation.

YF: Si on pouvait le survoler de haut des airs, on verrait que ce sont deux arcs de cercle. Comme si c’était une croix celtique. La pierre qui est utilisée rappelle éminemment le caractère minéral des monuments très anciens, pratiquement néolithiques de l’Irlande. Mais si on se déplace un peu vers l’intérieur, on découvre que on a un passage qui va depuis l’est vers ouest. C’est l’arrivée depuis l’Irlande et on parvient à l’endroit où se ferait la jonction de la harpe et de la traverse. En réalité, c’est la montée des âmes au ciel, c’est les gens qui sont morts.

CB: Les cimetières de la Grosse-Île sont le lieu de dernier repos de nombreux immigrants. Le plus grand, celui que l’on appelle le cimetière irlandais, a été utilisé jusqu’en 1847. Plus de 6 000 personnes y sont enterrées.

De nos jours, la Grosse-Île est un lieu de pèlerinage pour les gens du monde entier, un lieu où célébrer les rêves et les aspirations des immigrants partis dans l’espoir d’un nouveau départ en Amérique du Nord… et un lieu où rendre hommage à ceux qui ont perdu la vie à la recherche de ce nouveau départ.

Le lieu historique national de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais est ouvert de mai à octobre. Vous pouvez vous y rendre par bateau à partir de la marina de Berthier-sur-Mer, qui est à 45 minutes de Québec, ou par avion à partir de Montmagny, une localité voisine. Il est possible de visiter le bâtiment de désinfection, les hôtels et le village, ainsi que l’hôpital pour les patients atteints de la variole blanchi à la chaux plus d’une fois et son étonnante chambre rouge. Vous pouvez vous recueillir aux monuments commémoratifs et aux cimetières et profiter de la vue sur le Saint-Laurent que Susanna Moodie a décrit comme « le fleuve glorieux. La nature se donnant dans toutes ses caractéristiques les plus nobles pour produire cette scène enchanteresse. »

Le balado ReTrouver est produit par Parcs Canada. Un grand merci à Yvan Fortier, Christine Chartré, Jason King, Gabrielle Martel-Carrier, Laura, Shaun, et Rhys Nixon. Merci aussi à David Monteyne, dont le livre intitulé For the Temporary Accommodation of Settlers: Architecture and Immigrant Reception in Canada est une excellente ressources pour se renseigner sur les stations de quarantaine partout au pays.

Pour une foule d’informations supplémentaires, dont une exposition sur Google Arts et Culture présentant des photos des bâtiments, des monuments et des artefacts, ainsi que des cartes de l’île, consultez les notes du balado ou visitez le site parcs.canada.ca/retrouver

Ici Christine Boucher, merci d’avoir été des nôtres!

Bibliographie

Sources de publication

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Sources principale

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Loe Smith, William. Pioneers of Old Ontario. Toronto: G. N. Morang, 1923, 208-9. Cité dans David Monteyne, For the Temporary Accommodation of Settlers: Architecture and Immigrant Reception in Canada, 1870-1930. Montreal and Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2021.

McCullough, John W.S. “Dr. Frederick Montizambert, C.M.G., I.S.O., M.D., F.R.C.S.E., D.C.L.” Canadian Public Health Journal 20, no 12 (decembre, 1929), 634.

Mitchell, Alexander. Lettre à l’éditeur. Quebec Morning Herald, juin 1 1847.

Gwaii Haanas: Les paysages vivant de SG̱ang Gwaay

Est-ce qu’une tempête à le pouvoir de déraciner l’histoire?

Dans cet épisode, nous voyageons aux îles du nord-ouest du Pacifique de Haida Gwaii, qui abritent la nation haïda depuis plus de 13 000 ans. L’objectif? Un projet archéologique collaboratif dans un village évacué sur l’île isolée de SG̱ang Gwaay, un site du patrimoine mondial de l’ UNESCO, qui a été dévasté par des vents violents lors d’une tempête en 2018. De nombreuses voix racontent l’histoire de la Réserve de parc national, réserve d’aire marine nationale de conservation et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas

Un remerciement particulier à la productrice consultante Camille Collinson.

En apprendre davantage :

Le Programme national de commémoration historique repose sur la participation des Canadiens afin d’identifier les lieux, les événements et les personnages d’importance historique nationale. Tous les membres du public peuvent proposer un sujet afin qu’il soit étudié par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.

Obtenir plus d'informations sur la façon de participer à ce processus

Transcription

Voix: Vous écoutez un balado signé Parcs Canada. This podcast is also available in English.

Christine Boucher: En novembre 2018, l’archipel Haida Gwaii, terre natale de la Nation haïda, est frappé par une violente tempête avec des vents de la force d’un ouragan en provenance de l’océan Pacifique.

James McGuire: Un des êtres surnaturels du Sud-Est a envoyé un de ses agents; la cime de nombreux arbres a été cassée et plein d’arbres ont été déracinés. C’était vraiment tragique, un des sites les plus sacrés que je connaisse à Haida Gwaii a subi des dommages.

CB: Les dommages survenus au village sur l’île SG̱ang Gwaay étaient ahurissants – d’énormes arbres étaient tombés sur le sol couvert de mousse, comme si quelqu’un avait échappé une poignée de cure-dents, leurs racines étaient exposées aux éléments pour la première fois depuis bien plus de cent ans. C’était un vrai désastre…

JM: Mais, vous savez, face à une tragédie, on peut parfois trouver une façon de tirer le meilleur parti de la situation.

CB: Je m’appelle Christine Boucher et vous écoutez ReTrouver – Les paysages vivants de SG̱ang Gwaay.

Parcs Canada est connu dans le monde entier comme un chef de file de la conservation de la nature, mais nous faisons bien plus que cela. Avec nos partenaires, nous commémorons les personnages, les lieux et les événements qui ont façonné le pays que nous appelons maintenant le Canada. Rejoignez-nous pour rencontrer des experts de tout le pays et explorer les lieux, les récits et les artéfacts qui donnent vie à l’histoire.

Comme nous aborderons les injustices qu’ont subies les peuples autochtones, le balado s’adresse à un public averti. À nos auditeurs autochtones, n’hésitez pas à communiquer avec les conseillers de la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être au 1-855-242-3310 ou à espoirpourlemieuxetre.ca.

Aujourd’hui, nous nous rendons dans la réserve de parc national, réserve d’aire marine nationale de conservation et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas, qui se trouve au large de la côte nord de la Colombie-Britannique, pour discuter d’un nouveau projet de collaboration en archéologie sur l’île SG̱ang Gwaay.

L’épisode d’aujourd’hui a été réalisé en collaboration avec Camille Collinson, conseillère de la gestion des ressources culturelles à Gwaii Haanas et membre de la Nation haïda. Camille nous a aidés à comprendre les riches visions du monde haïda et à les intégrer au balado.

Mais tout d’abord, parlons de la langue haïda, et du nom des endroits que vous entendrez pendant l’épisode. Le haïda est considéré comme une langue en danger; très peu de gens le parlent couramment de nos jours, mais c’est la langue qu’on parlait dans l’archipel Haida Gwaii - qui se traduit par « îles du peuple haïda ». Gwaii Haanas, l’aire protégée, veut dire « îles de beauté », et SGaang Gwaay signifie « île qui gémit ». Vous avez peut-être remarqué un dénominateur commun… Le mot Gwaii, qui signifie « île”, est un mot très important dans ce coin du monde!

Haida Gwaii est un archipel, soit une chaîne de 150 îles, situé à quelque 700 km au nord de Vancouver et séparé du continent par le détroit Hecate, qui est peu profond. Gwaii Haanas protège les deux tiers de l’extrémité sud de l’archipel, du fond marin au sommet des montagnes.

Ces îles rocheuses reçoivent beaucoup de précipitations, et le sol des forêts pluviales tempérées est couvert d’un tapis de mousse verte et de fougères au-dessus desquels s’élèvent d’énormes arbres comme l’épinette de Sitka, le thuya géant et la pruche.

Aucune description que nous pourrions faire n’arrivera à rendre justice à la magnificence de l’endroit. Mais nous connaissons quelqu’un dont les mots vous charmeront.

JM: Imaginez-vous dans le milieu de l’océan Pacifique, là, maintenant. Des vagues déferlent partout autour de vous, vous vous croyez perdu, et vous croyez que vous êtes allé aux confins de la terre. Soudainement, à l’horizon, un petit rocher émerge de l’océan, laissé là par les êtres surnaturels.

À mesure que vous vous rapprochez de ce rocher dans l’océan, vous réalisez qu’il s’agit en fait d’une série de rochers, dans l’océan. Et sur cette série de rochers dans l’océan se trouve une magnifique forêt luxuriante, un peu… un peu comme l’image que l’on a des îles Galapagos, une merveille naturelle et une diversité d’écosystèmes. Et c’est avec tout ça que, depuis des temps éternels, le peuple haïda coexiste. Ça fait qu’on fait autant partie de cette forêt et de cet océan et du ciel que… que les arbres, les aigles et les corbeaux. Et depuis la nuit des temps, nous nous déplaçons dans l’écosystème de cet endroit, nous travaillons à ses côtés, en harmonie avec les lieux, ce même écosystème qui nous nourrit et que nous nourrissons à notre tour.

Mon nom est SGaan Kwahagang. Je suis du clan des Corbeaux de Skedans. Mon nom anglais est James Maguire.

CB: James s’occupe de la collection d’artéfacts au Musée Haida Gwaii.

Appelée île Anthony pendant une courte période, SG̱ang Gwaay est située du côté sud-ouest de Haida Gwaii. On y trouve le village de SG̱ang Gwaay Llnagaay, qui est aussi un site du patrimoine mondial de l’ UNESCO. Llnagaay signifie « village ». Personne n’habite dans ce village depuis les années 1880, il n’en reste aujourd’hui que des mâts mortuaires et des vestiges de maisons longues en bois.

Les mâts mortuaires sont en fait un tronc de thuya géant sur lequel sont sculptées des images d’animaux et d’êtres surnaturels, et ils servent à rendre hommage à une personne de haut rang, comme un chef ou une matriarche, à la suite de son décès. Les restes du défunt sont placés dans une boîte funéraire, qui est elle-même placée dans une cavité, au sommet du mât, laquel mesure environ 15 mètres de haut.

Vous connaissez sûrement les mâts totémiques, mais les Haïda préfèrent parler du type précis de mât sculpté, comme les mâts mortuaires, les mâts de maison et les mâts commémoratifs.

SG̱ang Gwaay est un lieu très important pour les Haïda.

Paul Rosang: Je m’appelle Paul Rosang et je viens de Skidegate. Mon nom haïda est Usagi, ce qui, en français, veut dire Homme-Loup. Et mon rôle est, en gros, de renseigner les visiteurs sur les lieux.

CB: Paul est un des gardiens de SG̱ang Gwaay, et il a été le premier à revenir sur les lieux après la tempête de 2018. La scène qui l’attendait en était une de grande destruction. L’endroit était méconnaissable : des centaines d’arbres, dont plusieurs étaient des géants côtiers, étaient couchés pêle-mêle les uns par-dessus les autres, complètement déracinés. Certaines des racines sorties du sol étaient aussi hautes qu’un immeuble de trois étages.

Paul: C’était comme atterrir sur la lune. Quand j’ai vu la quantité d’arbres qui étaient tombés d’un seul coup, j’ai eu l’impression d’être dans un endroit complètement différent, ce n’était plus la même place.

CB: Un abri pour les visiteurs avait été complètement écrasé, et un trottoir en bois se balançait dans les arbres.

PR: On aurait dit les anciennes montagnes russes en bois à Vancouver. C’était comme… wow.

CB: Mais ce qu’un visiteur peut considérer comme une scène de dévastation, ou ce que James interprète comme la visite d’un être surnaturel, un archéologue le voit comme une occasion en or.

SGang Gwaay est l’un de plusieurs lieux culturels haïda ouverts au public. Depuis le début des années 1990, les mâts ont attiré des milliers de visiteurs et, par respect pour l’importance du village, on y a fait peu de fouilles archéologiques.

Jusqu’à maintenant.

Camille Collinson: Ça nous donne vraiment l’occasion, d’une certaine façon, d’explorer SG̱ang Gwaay d’une autre manière que dans le passé.

CB: Nous discutons avec Camille Collinson, conseillère culturelle pour Parcs Canada à Gwaii Haanas.

CC: D’un point de vue archéologique, SG̱ang Gwaay n’a fait l’objet d’aucune fouille, sauf quand les mâts ont été redressés.

CB: Depuis l’évacuation du village, les racines des arbres poussent au travers des planches des planchers en décomposition des maisons longues haïda, qui sont inhabitées depuis près d’un siècle et demi. Quand les arbres sont tombés, les systèmes racinaires ont été soulevés haut dans les airs, les planches du bois ont été exposées, ce qui a ouvert une petite fenêtre de l’histoire de cet endroit fascinant.

Accueillons maintenant Jenny Cohen, archéologue en chef de Parcs Canada qui travaille à SG̱ang Gwaay.

Jenny Cohen: En tout et partout, plus de 100 arbres sont tombés dans le village et à proximité. On a lancé un programme d’archéologie d’urgence pour récupérer les artéfacts fragiles.

CB: De là est né le programme archéologique appelé Les paysages vivants de SG̱ang Gwaay, qui est une collaboration pluriannuelle entre la Nation haïda, le Musée Haida Gwaii et le gouvernement du Canada.

JC: Donc, la nature a fait des dégâts; et ces dégâts donnent l’occasion de fouiller et de voir ce qu’il y a dans les sédiments.

CN: SG̱ang Gwaay est l’un d’une centaine de villages qui bordent les rives de Haida Gwaii, où vit le peuple haïda depuis très très longtemps. Les archéologues ont trouvé des traces d’établissement humain datant d’il y a plus de 13 000 ans, mais la présence des Haïda dans l’archipel remonte probablement à plus loin que ça.

Nous avons parlé avec la directrice générale du Musée Haida Gwaii pour en savoir plus sur les origines du peuple haïda.

Nika Collinson: Bonjour! Je m’appelle Jisgang. Mon nom anglais est Nika Collison. Je suis une Haïda et je viens du clan [haïda].

Les Haïda d’aujourd’hui ne sont pas la première mouture des êtres humains que [mot haïda] nous ont appris; la première fois que les humains sont venus, ils sont sortis de l’air. Mais ils ne sont pas vraiment rendus. Cependant, les êtres surnaturels de la vie étaient là. La deuxième fois, ils sont sortis de la terre, et, encore une fois, il y a eu des problèmes. Les [mot haïda] étaient encore là, mais ces humains ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Et la troisième fois que les humains sont venus, c’était par l’océan. Ils sont le peuple d’aujourd’hui. Nous venons des êtres surnaturels qui sont sortis de l’océan qui, au fil de bien des générations, sont devenus de plus en plus humains, jusqu’à ce que nous sommes aujourd’hui.

CB: Pour comprendre l’histoire humaine de Haida Gwaii, il est préférable de commencer par l’interaction dynamique de la terre et de la mer, tant sur l’archipel que sur la partie continentale de l’Amérique du Nord.

Voici de nouveau Jenny, notre archéologue.

JC: Il y a environ 14 000 ans, le niveau de la mer à Haida Gwaii était environ cent cinquante mètres plus bas qu’aujourd’hui.

Pendant la dernière période glaciaire, il y avait une grande accumulation de glace sur le continent, ce qui a, si on peut dire, enfoncé le relief.

Et si vous pensez au noyau en fusion sous la croûte terrestre, c’est un peu comme un lit d’eau. Si vous mettez de la pression à un endroit, le matelas se soulève ailleurs. C’est un peu ça qui est arrivé à Haida Gwaii. Donc, le niveau de la mer relatif était beaucoup plus bas ici alors qu’il était beaucoup plus haut sur le continent, qui se faisait enfoncer.

Quand la glace des glaciers a fondu sur le continent, le relief du continent a remonté par rapport au niveau de la mer, et Haida Gwaii a commencé à baisser parce que la pression diminuait à cet endroit. Il ne faut pas oublier d’autres facteurs, comme la quantité d’eau dans l’océan. Toute cette glace était prisonnière des glaciers.

CB: À la fin de la période glaciaire, il y a environ 10 000 ans, le niveau de la mer a commencé à monter au fur et à mesure que les glaciers fondaient.

JC: La mer a donc envahi l’archipel et le niveau de l’eau est monté à 15 mètres de plus que présentement. Le niveau de l’eau est resté comme ça pendant environ 4 000 ans. Et depuis les six derniers milliers d’années, il continue de baisser.

CB:Tout ça peut être un peu difficile à comprendre, mais ce qu’il faut retenir, c’est que pendant des millénaires le niveau de la mer autour des îles a été à la fois plus haut et beaucoup plus bas que ce qu’il est de nos jours.

Par contre, une des constantes dans tous ces changements liés à la mer a été la présence du peuple haïda.

Les Haïda comptaient sur la mer et la terre pour subvenir à leurs besoins. L’abondance de saumons, de mollusques, de crustacés et de vie marine a contribué à leur sécurité alimentaire et a favorisé la santé des populations et l’établissement durable de villages.

Ils ont cultivé des relations avec d’autres Premières Nations tout le long de la côte du Pacifique, grâce entre autres aux canots qui leur permettaient de naviguer sur l’océan et qui étaient creusés dans le tronc de thuyas géants.

À SG̱ang Gwaay, les traces de la présence humaine remontent à il y a fort longtemps.

CC: L’occupation humaine à SG̱ang Gwaay date d’il y a 10 700 ans. Et entre cette époque et maintenant, il y a de nombreuses périodes dont on ne sait rien. Ce serait vraiment bien de remplir les .

CB: De ce que l’on sait grâce aux détenteurs du savoir haïda et aux archéologues, SG̱ang Gwaay a souvent servi de camp de chasse et de pêche saisonnier. C’est vers l’an 100 après notre ère que le village a été construit, et il a été habité de façon continue jusqu’à la fin des années 1800.

Ki’iljuus: C’était un site de chasse. Donc les gens campaient ici pour commencer et partaient chasser les otaries, les oiseaux, les phoques et probablement les loutres aussi. Partout autour des îles, les eaux regorgeaient de ressources.

Mon nom en haïda est Ki’iljuus et je fais partie des Stowas Haida Gwaii. C’est le nom de mon clan. C’est un clan de l’Aigle.

CB: Ki’iljuus a travaillé à Gwaii Haanas pendant de nombreuses années, et a joué divers rôles de leadership au sein de la communauté haïda.

K: Pendant trois ans, j’ai été l’élue membre au Conseil de la Nation haïda. C’était très bien, j’ai mis en place différentes initiatives que les chefs nous avaient demandé de faire et j’ai essayé de trouver comment améliorer les situations en étant un des représentants des terres.

CB: SG̱ang Gwaay Llnagaay se trouve du côté est de l’île. C’est l’endroit idéal pour un village : il y a une grande baie protégée par une petite île à 10 mètres au loin. Les maisons longues entouraient la baie principale, ce qui facilitait ainsi la mise à l’eau et la sortie de l’eau des canots. Il y a une autre baie au sud qui servait d’accès secondaire si la météo ou la marée étaient meilleures de ce côté-là.

Paul Rosang et son épouse Aretha Edgars sont les gardiens de SG̱ang Gwaay. Détenteurs du savoir traditionnel, ils vivent de cinq à six mois sur le lieu du village et expliquent l’importance de l’endroit aux visiteurs.

Le programme de gardiens a été mis au point pour veiller sur les lieux culturels importants de Haida Gwaii. Il est fondé sur un rôle historique dans les villages haïda : traditionnellement, des gardiens étaient placés à des endroits stratégiques pour sonner l’alarme si des ennemis approchaient. Si vous regardez tout en haut des mâts haïda, vous verrez souvent trois personnages coiffés d’un haut chapeau en écorce de thuya – c’est le symbole des gardiens.

Paul nous décrit ce que pouvait être la vie au village quand il était habité.

PR: Avec l’équipe d’archéologie ici, sur place, c’est plutôt intéressant parce qu’on voit les sentiers s’user, parce que les gens les utilisent pour faire des allers-retours d’un site à l’autre. Ça nous donne une assez bonne idée de ce que ça avait l’air quand le village était habité. Et puis, quand j’entends toute cette activité dans le village, ça… j’en ai des frissons juste à y penser. Et j’essaye de dire à mes invités « Quand vous y serez, essayez d’imaginer qu’il y a 300 personnes. Il y a des enfants qui courent sur la plage, des gens qui apprêtent les poissons et la nourriture, ou qui sculptent un mât totémique, ou qui s’affairent à leurs tâches quotidiennes. » Et on réussit à imaginer les sons.

CB: Voici ce que notre archéologue Jenny a à dire sur le village SG̱ang Gwaay.

JC: Dans le village, les vestiges de 17 maisons sont encore visibles et mesurables sur le sol, mais grâce aux données ethnographiques, on sait qu’il y avait 20 maisons. Donc, il y a deux rangées de maisons dans le village. Une rangée est près de l’océan et l’autre est sur une terrasse surélevée située derrière et donnant vue sur la baie. Il y a aussi un réservoir d’eau, un cours d’eau qui passe dans le village et sert de source d’eau douce, puis, au sud du village, il y a un grand secteur plat. C’est assez évident. Il aurait servi pour la culture des pommes de terre et du tabac. Et on y trouve aussi des vieux pommiers canadiens et une végétation variée, dont on retrouve encore des traces aujourd’hui.

CB: C’est en 1774 que le premier navire européen, dont le capitaine était l’Espagnol Juan Perez, arrive dans la région de Haida Gwaii.

Cette rencontre débouche sur une série de relations commerciales de nation à nation, d’abord avec l’Espagne, puis avec la Grande-Bretagne et la Russie et, finalement, avec les États-Unis. Les Haïda fournissent aux Européens des fourrures et des objets d’art, comme des bijoux et des sculptures, en échange de métaux, de fusils, d’alcool et d’aliments comme le sucre et la farine.

Parmi les principaux articles de traite se trouvait les peaux de loutres de mer. Tant que la demande est élevée en Europe, les Haïda peuvent négocier des prix élevés. Ainsi, au cours des quelques décennies qui suivent, les loutres sont chassées jusqu’à leur quasi-extinction, ce qui a un effet domino sur l’environnement marin. On voit alors, entre autres, une surabondance d’oursins, vu qu’ils ne sont plus mangés par les loutres. Et tous ces oursins mangent une grande quantité de varechs, une algue géante qui forme un écosystème qu’on appelle une forêt de varech. À certains endroits, le varech disparaît complètement, ce qui crée une espèce de désert à oursins. Aujourd’hui, grâce au petit coup de pouce des biologistes, on assiste au retour des loutres de mer et au rétablissement des forêts de varech à Haida Gwaii.

Au milieu des années 1800, d’autres ressources retiennent l’attention, comme les minéraux, les mollusques et crustacés, les baleines et le bois d’œuvre.

Au fil des rencontres entre les Européens et les Haïda, des maladies comme la typhoïde, la rougeole et la variole se propagent dans l’archipel. Ces maladies, en plus de la chute de la traite des peaux de loutres de mer, entraînent une baisse graduelle de la population de SG̱ang Gwaay.

Puis, en 1862, la vague de variole la plus meurtrière frappe l’archipel.

Revoici Nika qui nous parle de cette période sombre.

NC: Et donc avant 1862, selon ce que m’ont raconté nos spécialistes de l’histoire orale, il y avait de 30 à 50 000 Haïda. Et puis, en 1862, les colons ont, en toute connaissance de cause, propagé la variole sur la côte. Ce fait est consigné par écrit par les colons eux-mêmes, tout comme le fait qu’ils n’ont pas distribué de vaccins particulièrement aux Haïda, à notre peuple.

Quand c’est rendu que la maladie est si répandue dans un village qu’il y a une fumée bleue tellement les gens meurent… On peut le voir dans l’air. Ce qu’on vous dit dans le fond, c’est que vous n’êtes pas un humain.

Les survivants de SG̱ang Gwaay. Ils sont une trentaine, c’est moins qu’une maisonnée, qui ont été laissés ici. Puis, ils ont remonté la côte à la fin des années 1800, parce que tous les survivants des villages principaux se regroupaient à Skidegate ou à Masset.

K: Quand les gens meurent de cette façon, je le compare souvent à un incendie dans une bibliothèque. Pensez à votre bibliothèque en bas du sol, et imaginez qu’il y a un gros feu, et que vous aviez 30 000 livres. Incluant des manuscrits, il y a des premières ébauches, il y a des livres et des connaissances, il y a des revues, il y a de petits livres scolaires et il y a des livres d’histoires. C’est ce qui arrive quand on tue des peuples. On détruit leur bibliothèque, et c’est ce qui nous est arrivé. Et quand la fumée se dissipe, il ne reste même pas 600 personnes.

CB: Et c’est ainsi qu’en seulement deux générations, la population haïda est décimée par une série d’épidémies, et les conséquences sur sa culture et son mode de vie sont épouvantables. Les 600 survivants qui ont été déplacés finissent par se regrouper dans deux villages au nord de Haida Gwaii, où vit aujourd’hui la grande majorité du peuple haïda.

Au milieu des années 1880, il n’y a plus personne qui vit dans la moitié sud de l’archipel, même SG̱ang Gwaay s’est désertifié, une situation qui persiste encore aujourd’hui.

Malheureusement, le peuple haïda n’est pas au bout de ses peines; en 1876, le gouvernement fédéral adopte la Loi sur les Indiens, appelée à l’époque l’Acte des Sauvages.

K: Depuis des milliers d’années, le peuple des îles, un peuple de l’océan. Nous avons transmis nos premiers enseignements. Nos lois étaient transmises à l’oral, elles n’étaient écrites nulle part. Et quand une loi existe depuis des milliers d’années, elle fait simplement partie de ton mode de vie, en harmonie avec les terres et les eaux. Les Européens ne pouvaient pas voir nos lois, donc, ils nous ont dit qu’on n’en avait pas. Ils nous ont donc imposé les leurs. Ils avaient la Loi sur les Indiens, et c’est devenu une façon pour eux de nous contrôler et de nous garder à une seule place.

CB: L’Acte des Sauvages est une tentative d’assimilation des peuples autochtones au Canada dans la société coloniale. Il interdit les pratiques culturelles traditionnelles et l’utilisation des langues traditionnelles, et oblige les familles à envoyer leurs enfants dans des pensionnats. De nombreux enfants haïda sont envoyés à l’école St. Michael’s, à Alert Bay, qui se trouve à environ 500 km.

À Haida Gwaii, des réserves pour les Haïda sont créées à proximité des deux principaux villages, c’est-à-dire Skidegate et Masset, et comprennent une minuscule fraction de leur terre natale. Le système de laissez-passer, qui oblige les Autochtones à obtenir une permission écrite pour sortir de la réserve, restreint l’accès à la vaste majorité des territoires traditionnels et des lieux culturels.

Le reste des terres et des eaux de Haida Gwaii est vendu à des intérêts privés ou exproprié par le gouvernement.

La Loi sur les Indiens fait encore partie des textes législatifs fédéraux, mais de nombreuses modifications y ont été apportées au fil des ans pour assouplir les restrictions relatives aux pratiques culturelles autochtones et pour redonner aux Autochtones une liberté de mouvement dans leur territoire traditionnel.

Depuis, on assiste à une résurgence de la culture haïda, au rétablissement des liens avec les traditions et la langue. Le gouvernement fait par ailleurs des pas importants en tenant compte du savoir haïda pour déterminer comment gérer les terres et les eaux, et pour créer des aires protégées.

Dans les années 1970 et 1980, on prévoit exploiter les forêts d’Athlii Gwaii, alors appelée l’île Lyell – même si l’île fait partie d’une aire visée par une proposition de protection. En ayant assez de l’inaction du gouvernement pour arrêter les coupes, un groupe de Haïda prend les choses en main et bloque les chemins forestiers. Le point culminant sera l’arrestation, en 1985, de 72 Haïda, dont des aînés. Finalement, une entente entre le Canada et la Colombie-Britannique ouvre la voie à la protection de Gwaii Haanas en vertu de la Loi sur les parcs nationaux.

K: Le jour est arrivé où le fédéral voulait en faire un parc national. Et nos représentants leur on dit qu’il n’en voulaient pas. Nous savons ce qui arrive aux personnes qui habitent dans les limites d’un parc national, on sait qu’elles ne peuvent plus utiliser la terre. Ils veulent utiliser nos terres. C’est là que les choses ont commencé à changer.

Les gouvernements tiennent compte de ces préoccupations. C’est ainsi qu’est né l’Entente Gwaii Haanas, un engagement à protéger l’aire tout en veillant à ce que les Haïda puissent pratiquer des activités traditionnelles dans les terres et les eaux de Gwaii Haanas. Voici de nouveau Camille.

CC: Quand l’Entente Gwaii Haanas a été créé, en 1993, il a été créé par le gouvernement du Canada et le Conseil de la Nation haïda, chaque partie affirmait que la terre lui appartenait. « Cette terre est à moi », disait l’un, « Non, cette terre est à nous », répondaient les Haïda. Les deux groupes ont fini par accepter qu’ils n’arriveraient pas à s’entendre. Donc, au lieu de s’obstiner sur à qui appartenait la terre, ils ont mis de côté leurs différends pour gérer l’aire en coopération. On essaye toujours de rester fidèle à l’Entente Gwaii Haanas, et on s’assure d’obtenir la participation de la communauté haïda, parce qu’on se trouve sur le territoire haïda. Et c’est important de toujours faire honneur à ça dans notre travail, et de toujours travailler de bonne foi les uns avec les autres.

CB: L’Entente Gwaii Haanas est encore en vigueur de nos jours, et la réserve de parc national englobe SG̱ang Gwaay. Depuis 1981, SG̱ang Gwaay est aussi un lieu historique national et un site du patrimoine mondial de l’ UNESCO.

La première chose qu’on voit en arrivant dans la baie principale de SG̱ang Gwaay, c’est la plage, une plage couverte de cailloux, de coquillages brisés et de bois de grève polis par la mer. Au-delà de la plage, on voit de hautes herbes vertes et de la mousse encore plus verte, et des forêts de pruches et de thuyas à l’horizon. Puis on voit, dressés dans l’herbe, des dizaines de mâts mortuaires usés par le temps et sur lesquels sont sculptés des visages d’animaux qui racontent des histoires des temps anciens. Des coquilles de palourdes blanches placées sur le sol balisent un sentier et invitent les visiteurs à rester à une distance respectueuse des vestiges fragiles de SG̱ang Gwaay Llnagaay.

CC: SG̱ang Gwaay est vraiment un site magnifique qui témoigne de la culture matérielle, de l’architecture et de l’art des Haïda. C’est aussi un site qui raconte des histoires; les mâts qui sont encore debout racontent la grande histoire de ceux qui ont vécu ici, les histoires des clans et les événements environnementaux importants.

CB: Les Haïda considèrent que l’endroit est bien plus que le simple emplacement d’un village, puisqu’on y trouve le corps, et l’esprit, de tellement d’ancêtres. Personne ne semble insensible au caractère solennel de l’endroit. Pour bien des gens, il est impossible de décrire l’expérience qu’ils ont vécue à SG̱ang Gwaay… mais deux de nos experts ont bien voulu essayer.

K:Il y avait quelque chose de complètement ensorcelant.

CB: Ki’iljuus nous raconte sa première fois sur l’île.

K: Je suis arrivée à bord d’un petit hydravion et je suis débarquée, tu lèves les yeux et tu vois ces choses argentées dans les arbres verts, tu sais, assez spectaculaire. Je n’étais jamais allée à un ancien village où des mâts étaient encore debout, j’ai apporté mon plus jeune garçon. Il avait deux ans. Je l’ai emmené avec moi. Et on a passé la journée là. C’était vraiment spécial.

PR: Comme la première fois où j’ai été gardien là-bas, juste marcher dans le village… C’est le sentiment de… je ne peux même pas mettre des mots sur ça. C’est ce qu’on ressent quand on est là. C’est très accueillant. C’est juste une impression d’être chez soi, vraiment.

C’est que je suis ici depuis tellement longtemps. Je dis que c’est chez nous, c’est tout.

CB: Paul, qui est un gardien à SG̱ang Gwaay depuis plus de 15 ans, nous explique la signification de l’endroit en langue haïda.

Paul: Ça veut dire « île qui pleure ». On pourait croire une femme qui pleure.

CB: Si vous êtes chanceux, vous entendrez le vent qui, en passant dans la cavité d’un rocher, crée un son qui ressemble à des pleures.

PR: Il faut donc que la marée soit à la bonne hauteur, que le vent souffle du bon bord. Il faut que tout s’aligne parfaitement, les combinaisons et tous les différents éléments… et c’est à ça que ça ressemble, une femme qui pleure au loin. Je l’ai entendu seulement deux fois.

C’est vraiment quelqu’un qui pleure. C’est à ça que ça me fait penser. Vraiment… ça donne des frissons.

CB: Le rôle de Paul à titre de gardien est aussi d’offrir des visites guidées de SG̱ang Gwaay :

PR: Je vais juste vous donner un petit aperçu du village. Il y avait 20 maisons longues à une époque et probablement environ 300 personnes. Ça fait que si on regarde vers la baie, on peut voir son gros fer à cheval là-bas et tous ses beaux mâts totémiques. Mais chaque mât qui était là était un mât mortuaire. En fait, il y en a cinq sortes différentes. Il y a les magnifiques mâts frontaux des maisons, et il y a les mâts mortuaires qui ont une grande cavité dans le haut où les restes du chef étaient placées, au sommet du mât.

CB: La tempête a considérablement modifié le paysage du village, quoique les équipes de travail ont depuis enlevé la majorité des débris. Ce qui est surprenant, c’est que les mâts et les vestiges des maisons ont subi très peu de dommages.

PR: C’est plus de 245 arbres qui sont tombés pendant cette tempête-là. Des arbres immenses, certains qui on un tronc de quatre ou cinq pieds à la base, des grosses épinettes. Quand un arbre commence à tomber, ça fait un effet boule de neige. Elle a détruit plein de choses, mais que le village n’a pas été touché. Ça donne vraiment l’impression que quelque chose, quelqu’un protège l’endroit.

JC: C’est comme l’un de ces rares moments dans ma vie qui m’ont vraiment coupé le souffle et c’était difficile de respirer.

CB: C’est maintenant au tour de Jenny de nous raconter sa première visite après la tempête.

JC: Tout avait tellement changé, et la destruction était tellement palpable… tous ces arbres couchés sur le sol et leurs branches qui recouvraient tout, et les mâts totémiques qui semblaient avoir été avalés par la végétation. Les racines étaient sorties de terre et il y en avait qui faisaient comme 10 mètres de haut, bien plus grandes que moi. Je me sentais si petite, si fragile, si vulnérable.

CB: Le projet Paysages vivants a été lancé peu de temps après, afin de mieux comprendre l’utilisation et la gestion des ressources par le peuple haïda au cours des derniers millénaires. Les conclusions orienteront l’objectif à long terme qui est de remettre en état le paysage éco-culturel de l’île.

Dans un premier temps, il a fallu excaver les masse racinaires qui avaient soulevé les planches du plancher de deux maisons longues. Une masse racinaire englobe l’ensemble des racines ainsi que toute la terre et tous les débris qui s’y trouvent.

Le gros des travaux archéologiques se fait à proximité de la maison 10.

JC:On l’appelle la maison 10 parce que c’est plus court, mais elle a un nom, et elle s’appelle la maison des gens qui souhaitent être là.

En fait, les maisons avaient toutes un nom dans le village, mais certains ont été oubliés.

CB: La maison 10 était une maison longue haïda typique. Les poutres et les poteaux étaient faits de gros rondins de thuya, et le plancher et le toit en planches de thuya. Sur le devant, il y avait un mât frontal dans lequel était sculpté un aigle, un cormoran, une baleine et trois gardiens qui, du haut de leur poteau, surveillent ce qui se passe. Une porte arrondie construite dans le mât servait d’entrée et de sortie principales. Il y avait une ouverture dans le toit qui permettait à la fumée d’un foyer intérieur de s’échapper. Il y avait des lits superposés et des tablettes un peu partout à l’intérieur, et la nourriture était placée sous la maison pour la conserver au frais.

Le mât frontal de la maison 10 a été enlevé dans les années 1930, à une époque où les étrangers emportaient avec eux des objets ramassés sur les sites culturels autochtones. Une des raisons d’être du programme des gardiens est justement d’empêcher ce type de comportement. Le rapatriement d’artéfacts est un projet permanent du Musée Haida Gwaii.

JC: Juste avant la tempête, la maison n’était pas vraiment bien délimitée. On peut voir où il y a plusieurs poutres du toit et elles ressemblent juste à des rondins couverts de mousse et quelques poteaux penchés. À l’époque, tout était couvert de mousse. Il y a un petit cours d’eau, un ruisseau qui coulait comme juste à côté de la maison. Et c’est ce qui a fait qu’une bonne partie du bois a été bien conservée.

CB: Après la tempête, les choses ont changé de façon assez spectaculaire.

JC: Donc, à la maison 10, deux arbres se sont déracinés, exposant les sédiments du plancher de la maison.

l’an dernier, on a fait des fouilles dans les racines. Normalement, quand on fait des fouilles, on part de la surface et on creuse dans les sédiments. Mais ici, on a commencé par les sédiments profonds qui étaient pris dans les racines et on a commencé nos fouilles à l’envers, comme, vers le haut, vers où était la surface du sol. C’est plutôt inusité comme méthode de fouille.

Debout près de l’arbre, les racines étaient bien plus grandes que moi. Il a fallu qu’on utilise une échelle pour atteindre les sections du haut.

CB: James, du Musée Haida Gwaii, a aidé et conseillé l’équipe de Jenny.

JC: Je suis parti pour un petit séjour de neuf jours, sur le terrain, pour faire le point sur les choses qui ont été identifiées et pour mettre en contexte les objets au fur et à mesure qu’on les sort du sol, aider à la compréhension culturelle de ce qu’on trouve et, aussi, du village dans lequel on est.

On a l’occasion ici de remplir un peu plus les trous dans nos connaissances, entre les histoires orales et la technologie, pour savoir où on pourrait trouver d’autres anciens sites.

CB: Pendant quatre semaines, l’équipe a trouvé un nombre incroyable d’artéfacts à la maison 10. Une trouvaille intéressante est une œuvre d’art haïda – deux morceaux, gros comme un poing, d’une pierre noire de jais appelée argilite.

JC: Et donc, j’en revient aux planches du plancher. J’ai vu une roche coincée entre les deux et je me suis dit, bon, OK, c’est une autre pierre brisée par le feu. Mais, quand j’ai regardé de plus près, j’ai vu une petite rainure, une petite encoche, quelque chose de plutôt étrange. Et en la sortant, j’ai vu que cette rainure était en fait une gravure et qu’elle faisait partie d’un œil qui avait été sculpté dans une petite statuette. On a vu le coin arrière de l’œil et un petit bout de l’épaule de la figurine. Et sur cette épaule, il y avait motif détaillé et complexe.

Mais il manquait le visage de la statuette, et on aurait dit que la pierre s’était fendue. C’était une de ces trouvailles qui vous coupe le souffle. On aurait pu entendre une mouche voler tellement c’était silencieux; tout le monde savait qu’on venait de trouver quelque chose de vraiment cool. Et puis, le lendemain, on a vu une roche plate à côté d’un gros os de mammifère marin. Ça fait qu’on a fait très attention pour l’enlever. Mais quand on a commencé à l’enlever, l’os s’est séparé facilement et la pierre est sortie toute seule. Et quand on l’a ramassé, on a vu un nez et deux yeux et c’était un match parfait avec l’autre morceau.

CB: L’argilite est un type de roche sédimentaire qui est en fait de l’argile solidifiée ou compressée. On la trouve dans une seule montagne du nord de Haida Gwaii – et nulle part ailleurs sur la planète. De nos jours, les Haïda ont les droits exclusifs d’exploitation de la carrière.

Lorsqu’elle est polie, l’argilite a un lustre noir particulièrement magnifique. Au cours du siècle dernier, des sculptures d’artistes haïda célèbres comme Charles Edenshaw, Claude Davidson et Bill Reid ont été exposées dans des musées et des galeries du monde entier.

Compte tenu de leur grand intérêt esthétique, les sculptures en argilite étaient un article de traite important pour les Haïda.

Voici ce que James peut nous dire de la sculpture

JM: Il y a plusieurs sculpteurs sur argilite qui viennent de SG̱ang Gwaay. Chef Ninstints était un des derniers survivants du village et est devenu un sculpteur sur argilite assez célèbre. Mais à l’époque, le village était à l’apogée de sa force, de sa population et de sa prospérité, ce n’était pas quelque chose de très répandu dans toute l’existence du peuple haïda.

La sculpture sur argilite est une descendante directe de la réaction au contrôle exercé par l’empire colonial. La popularité de la sculpture sur argilite vient du fait qu’elle est considérée comme une forme d’art qui peut bien se vendre dans un marché victorien.

CB: Une autre trouvaille intéressante faite à la maison 10 est une collection de graines de petits fruits comestibles et de plantes médicinales.

JC: En dessous du plancher, il y a… dans ce limon noir, des concentrations des graines. Ces graines ne se sont pas retrouvées là naturellement. Il y en a trop et elles sont trop concentrées.

CB: Il est possible que les villageois gardaient une réserve de graines pour cultiver des plantes à des fins alimentaires et médicinales.

James a une autre explication plausible.

JM: Toutes ces différentes sortes de graines, placées en couches une par-dessus l’autre, des petits fruits ou des confitures qui ont été déshydratés, puis emballés dans l’équivalent traditionnel du papier cellophane, probablement du chou puant, puis superposés sous le sol dans une espèce de système de celliers qui était directement sous les planches du plancher de la maison longue.

CB: Le chou puant est une plante de milieu humide qui a de grandes feuilles cireuses. Son nom évocateur vient de l’odeur que dégagent ses fleurs jaune vif et qui attire les pollinisateurs qui ont un penchant pour la viande en décomposition.

JM: Je me disais, c’est juste des tas de petits fruits qui ont été déshydratés et qui auraient été enveloppés dans du chou puant, puis le chou puant, en 150 ou 120 ans, s’est désintégré et juste les graines des différentes sortes de petits fruits sont restées en piles et en couches de différents types.

Vous savez, les empiler en vue de les consommer pendant les mois sombres, quand les fruits ne poussent pas. Quand tu les gardes pour les manger plus tard. Le plus triste, c’est qu’ils n’ont jamais été mangés.

CB: Il y a d’autres artéfacts qui racontent l’époque où 300 personnes vivaient à SG̱ang Gwaay. On a notamment trouvé des perles en verre, des pièces de métal, des boutons, des pipes et des bouteilles. Certains articles ont été fabriqués sur place ou à proximité, et d’autres l’ont été beaucoup plus loin. Ce sont les traces d’un réseau commercial qui liait Haida Gwaii à l’Asie, à l’Europe et au-delà de ce territoire.

JM: C’est vraiment amusant à imaginer différents moments, différentes époques. J’adore voir un bouton que je pourrais avoir sur ma couverture, sortir d’une planche du plancher d’une maison longue sur lequel mes ancêtres ou les ancêtres de mes amis ont dansé, un bouton qui se serait détaché et nous voilà, aujourd’hui, en train de le ramasser.

CB: Les artéfacts qui viennent d’être récupérés à SG̱ang Gwaay sont entreposés au Musée Haida Gwaii à des fins d’analyses et de conservation. Au cours des quelques prochaines années, l’équipe du projet Les paysages vivants préservera ces objets et continuera à travailler sur le terrain.

JC: On examine la possibilité d’élargir les fouilles à la maison 10. On pourrait alors avoir une meilleure idée des activités de la maisonnée. On fouille aussi le site de deux autres maisons dans le village qui ont été touchées par la tempête.

CB: L’équipe espère par ailleurs en apprendre davantage sur les débuts de l’histoire humaine de l’île.

JC: On veut sortir du village immédiat et aller voir les sites côtiers surélevés, quand le niveau de la mer était plus haut, ça pourrait correspondre à où était le littoral et peut-être que des gens s’étaient installés à ces endroits-là. On a déjà ciblé un de ces sites et on l’a daté et d’environ 5000 ans. Une partie du plan est de retourner à ce site et de la comparer avec la façon dont les gens vivaient à une époque plus récente.

JM: Quand tu examines les planchers et que tu vois une perle de verre ou un bouton, tu sais qu’ils étaient fort probablement sur une couverture durant un potlatch. C’est le genre de chose qu’on fait aujourd’hui et quand, quand on est témoin de la continuité de la culture, quand on peut combler les écarts entre nous, on se sent moins étranger. Le colonialisme nous a fait sentir comme des étrangers sur nos propres terres parce que, de bien des façons, tout ce qu’on faisait sur notre territoire était devenu illégal. Tout a été fait pour qu’on se sente comme ça. Ça fait qu’on est rendu là, à cette époque de réappropriation et de rétablissement des liens et de rapatriement dans nos propres esprits.

CB: La possibilité pour tout le monde d’apprendre les uns des autres constitue un aspect intéressant de ce projet de collaboration.

JC: J’apprends beaucoup des gardiens et des Haïda du coin, sur les techniques de sculpture, sur la tradition orale, le savoir des personnes qui ont vécu ici avant, leurs histoires et comment les connaissances sont transmises. Découvrir d’autres utilisations des objets historiques qui pourraient être des objets de traite et utilisés autrement, pas de la façon qu’ils auraient dû l’être par les Européens qui échangeaient ces articles.

JM: J’ai hâte d’aller de l’avant cette année, maintenant que j’ai rencontré l’équipe, que j’ai rencontré les gens avec qui on va travailler. J’ai hâte de les inviter dans nos installations et de travailler avec eux pour analyser ce qu’on a trouvé, et établir une chronologie plus précise du point de vue scientifique pour qu’elle corresponde à notre chronologie très détaillée de notre histoire orale.

CB: Le côté collaboratif de ce projet correspond à la philosophie de gestion coopérative de Gwaii Haanas en général. Quand elle a été négociée, l’Entente Gwaii Haanas était la première en son genre. Elle a tellement bien fonctionné qu’elle sert maintenant de modèle pour les nouveaux lieux gérés en coopération au Canada.

CC: Vous savez, souvent ce n’est pas facile de travailler en collaboration, mais je crois que c’est la façon la plus constructive de travailler. Je pense qu’on accomplit les plus belles choses quand on collabore. Mais je pense que c’est l’aspect le plus important de notre travail – nous assurer de toujours collaborer avec la communauté haïda. C’est toujours tellement important de réunir tout le monde parce qu’on est tous ici pour la même raison et c’est prendre soin de Gwaii Haanas.

CB:Un des défis dans tout ça, c’est le changement climatique, et la hausse du niveau de la mer qui pourrait survenir. Mais les Haïda sont résilients – ils s’adaptent aux énormes changements de la mer à Haida Gwaii depuis au moins 13 700 ans.

Une chose est certaine, c’est que les vestiges des maisons longues et les mâts totémiques de SGaang Gwaay Llnagaay ne résisteront pas à l’épreuve du temps, et on en parle dans le plan directeur. Et comme le veut la tradition haïda, on les laissera retourner à la terre.

K: Ce que je pense, c’est que vu que tout vient de la terre, tout doit retourner à la terre. C’est fait partie du respect et de notre responsabilité.

JC: Ce que je retiens, c’est qu’il faut laisser les choses retourner à la nature. Mais, vous savez, permettre des interventions non invasives pour ralentir ce processus, c’est correct… beaucoup de ces structures sont faites en bois, le gros des matériaux se décomposera et ce n’est pas censé durer indéfiniment.

JM: Il faut insuffler de la vie à ces villages tandis que les témoins et les leçons du passé retournent à leurs lieux de repos naturels. C’est notre responsabilité, selon moi, de donner une nouvelle vie à ces villages et d’ériger d’autres mâts totémiques, de ramener de la vie, de les célébrer et de lancer de nouvelles perles sur le sol pour que les archéologues, dans 500 ans, les trouvent et voient la continuité de notre culture d’il y a 15 000 ans jusqu’à aujourd’hui. On sort d’une période vraiment sombre de notre histoire, on a maintenant l’occasion d’inonder de lumière ces endroits qui sont si sacrés pour nous.

K:C’est un véritable petit paradis pour moi, je vois la beauté malgré les blessures. Je connais beaucoup de ses histoires et il me rappelle tous ces gens passer avant moi et à quel point je suis chanceuse de faire partie de la terre, de l’océan et du peuple.

CB: Une visite à la réserve de parc national, réserve d’aire marine nationale de conservation et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas est toute une aventure, comme tout voyage d’une vie se doit de l’être! Avant tout chose, pour aller à Haida Gwaii, vous devez prendre le traversier, ou l’avion, ou même utiliser votre propre bateau. Il y a plusieurs voyagistes autorisés qui peuvent organiser votre transport.

Vous devez avoir un permis d’accès et suivre une séance d’orientation pour pouvoir explorer Gwaii Haanas et SG̱ang Gwaay. Vous pouvez visiter les lieux de façon autonome ou en compagnie d’un guide. Les options de voyage vont d’une seule journée à une semaine ou plus et peuvent comprendre de la randonnée, du kayak et la visite de sites culturels.

Le Conseil de la Nation haïda demande à tous les visiteurs de signer l’engagement de Haida Gwaii, que vous trouverez en anglais à haidagwaiipledge.ca.

Le balado ReTrouver est une production de Parcs Canada.

[mot haida] Camille Collinson était notre productrice-conseil. Un grand merci à Jisgang Nika Collison, SGaan Kwahagang James McGuire, K’iiljuus, [mot haida] Paul Rosang, Jenny Cohen, Daryl Fedje, Gid yahk’ii Sean Young, Stephanie Fung, au Musée Saahlinda Naay Haida Gwaii et au Conseil de gestion de l’archipel de Gwaii Haanas.

Pour connaître les plus récents détails concernant le projet Les paysages vivants, consultez la page Facebook de Gwaii Haanas.

Rendez-vous à la page parcs.canada.ca/retrouver pour consulter les notes du balado et pour visionner un documentaire sur le projet Les paysages vivants.

Ici Christine Boucher. Merci d’avoir été des nôtres!

Bibliographie

Sources de publication

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Boyd, Robert. The Coming of the Spirit of Pestilence: Introduced Infectious Diseases and Population Decline among Northwest Coast Indians, 1774-1874. Vancouver: UBC Press; Seattle: University of Washington Press, 1999.

Clayton, Daniel. Islands of Truth: The Imperial Fashioning of Vancouver Island. Vancouver: UBC Press, 2000.

Collison, Jisgang Nika. Athlii Gwaii - Upholding Haida Law at Lyell Island. Vancouver: Locarno Press, 2018.

Council of the Haida Nation. “Haida Land Use Vision, Haida Gwaii Yah’guudang [respecting Haida Gwaii].” Haida Gwaii, 2005. https://www.haidanation.ca/wp-content/uploads/2017/03/HLUV.lo_rez.pdf (en anglais seulement)

Duff, Wilson and Michael Kew. “Anthony Island, A Home of the Haidas. Province of British Columbia, Department of Education, Report of the Provincial Museum 1957, 37-63.

Fedje, Daryl and Rolf Mathewes. Haida Gwaii Human History and Environment from the Time of the Loon to the Time of the Iron People. Vancouver: UBC Press, 2005.

The Great Bear Rainforest Education and Awareness Trust. “The Fur Trade Era, 1770s-1849.” Salt Spring Island, British Columbia, n.d. https://greatbearrainforesttrust.org/backgrounders/ (en anglais seulement)

Kalman, Hal. A History of Canadian Architecture: Volume 1. Toronto: Oxford University Press, 1994.

MacDonald, George F. Haida Art. Seattle: University of Washington Press, 1996.

Swanky, Tom. Canada’s “War” of Extermination on the Pacific. British Columbia: Dragon Heart, 2012.

Swanky, Tom. The Smallpox War in Nuxalk Territory. British Columbia: Dragon Heart, 2016.

Websites

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Bill Reid Centre, Simon Fraser University. “Monumental Art of SG̱ang Gwaay.” Consulté en janvier 2022. Archivé à: https://web.archive.org/web/20211202192434/https://www.sfu.ca/brc/virtual_village/haida/sgang-gwaay--ninstints-/monumental-art-of-sgang-gwaay.html (en anglais seulement).

Stewart, Lillian. “Anthony Island.” The Canadian Encyclopedia. Historica Canada. Article publié le 17 novembre 2010. Consulté en mars 2023. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/ile-anthony.

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Articles d’actualité

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Wilson, Lee. “Archaeologist make historic find in Haida Gwaii.” APTN National News, September 24, 2019. https://www.aptnnews.ca/national-news/archaeologist-make-historic-find-in-haida-gwaii/ (en anglais seulement).

Film

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Documents gouvernementaux

Archipelago Management Board. “Gwaii Haanas National Park Reserve and Haida Heritage Site: 2007 State of the Protected Area Report.” Haida Gwaii, 2007.

Council of the Haida Nation et Parcs Canada. Gwaii Haanas Gina ’Waadluxan KilGuhlGa Land-Sea-People Management Plan. Haida Gwaii, 2018. https://www.haidanation.ca/wp-content/uploads/2018/11/Gwaii-Haanas-LSP-Plan-2018_EN_lowres.pdf (en anglais seulement)

Dick, Lyle. “The Maritime Fur Trade in Southern Haida Gwaii (Queen Charlotte Islands), ca. 1787-1920” Parcs Canada, Centre de service de l’Ouest et du Nord, 2005.

Haida Nation et Parcs Canada. Gwaii Haanas Guide du visiteur. 2021. https://pcweb.azureedge.net/-/media/pn-np/bc/gwaiihaanas/WET4/visit/GHVG2021_FRE_Digital.pdf (PDF)

MacDonald, George. “The Haida Village of Ninstints, Queen Charlotte Islands. Report and recommendations to the National Historic Sites and Monuments Board of Canada.” CLMHC, Rapport 1981-SUC(P).

Dawson City: Ruby au coeur d’or

Saviez-vous que Parcs Canada conserve un bâtiment au Yukon qui abritait autrefois un bordel?

Bienvenue chez Ruby’s Place! À travers le vécu de la remarquable Madame Ruby Scott, nous abborderons les hauts et les bas des travailleuses du sexe dans une ville minière du Nord en pleine essor. Au cœur de l’histoire se trouve Ruby’s Place, un élégant bâtiment à fausse façade conservé dans le cadre des lieux historiques nationaux du Klondike… malgré les menaces du changement climatique.

En apprendre davantage :

Le Programme national de commémoration historique repose sur la participation des Canadiens afin d’identifier les lieux, les événements et les personnages d’importance historique nationale. Tous les membres du public peuvent proposer un sujet afin qu’il soit étudié par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.

Obtenir plus d'informations sur la façon de participer à ce processus

Transcription

Voix: Vous écoutez un balado signé Parcs Canada. This podcast is also available in English.

Christine Boucher : Territoire du Yukon, 1896.

Voix: De l’or!

CB: San Francisco, 1897.

Voix: DES SACS D’OR EN PROVENANCE DU KLONDIKE

CB : C’était la une du San Francisco Chronicle.

Voix: Un demi-million de dollars en poussière d’or sur un seul bateau à vapeur

CB : En 1898, des dizaines de milliers de personnes – dont de nombreuses femmes intrépides – bravent des difficultés inimaginables pour se rendre à Dawson, au cœur des champs aurifères du Klondike.

Seule une poignée de gens feront fortune. Par contre, tous ces gens sont une véritable mine d’or pour les hôtels, restaurants, salles de danse et saloons qui s’élèvent dans le pergélisol… sans oublier plusieurs bordels. Et, dans les années 1970, Parcs Canada fait l’acquisition de l’un d’eux!

Karen Routledge : Bonne question : Pourquoi Parcs Canada est-il propriétaire d’un bordel?

CB: Je m’appelle Christine Boucher et vous êtes à l’écoute de ReTrouver – Ruby au coeur d’or : Trésor du Klondike.

Parcs Canada est connu dans le monde entier comme un chef de file de la conservation de la nature, mais nous faisons bien plus que cela. Avec nos partenaires, nous commémorons les personnages, les lieux et les événements qui ont façonné le pays que nous appelons maintenant le Canada. Rejoignez-nous pour rencontrer des experts de tout le pays et explorer les lieux, les récits et les artéfacts qui donnent vie à l’histoire.

Aujourd’hui, nous visitons le lieu historique national du Complexe-Historique-de-Dawson, situé à Dawson, au Yukon, pour découvrir l’histoire de l’un de ses lieux les plus scandaleux : Ruby’s Place, qui était, au milieu du XXe siècle, une maison de prostitution sous la gouverne d’une femme extraordinaire, Madame Ruby Scott.

Petit avertissement : Dans cet épisode, nous parlerons de prostitution, sans toutefois entrer dans les détails. Le balado est donc destiné à un public averti.

Dawson, appelée le « Paris du Nord », est à une époque la plus grande ville à l’ouest de Winnipeg. Certains y font fortune, alors que d’autres y perdent tout. La ville est située au Yukon, à quelque 100 kilomètres de la frontière de l’Alaska, au confluent du fleuve Yukon et de la rivière Klondike.

Bien avant l’arrivée des premiers colons au XIXe siècle, la région que l’on appelle aujourd’hui Dawson est habitée par les peuples autochtones Tr’ondëk Hwëch’in.

Depuis des millénaires, ils y pêchent le saumon et chassent le caribou tout en entretenant une relation réciproque avec la terre et ses occupants.

La ville est bordée de montagnes et de sapins. Au nord, une colline garde les traces d’un ancien glissement de terrain. Le site est appelé Ëdhä dädhëchą, ou Moosehide Slide en anglais. Cela fait des siècles que ce site sert de point de repère aux voyageurs qui arrivent par la rivière, et il figure dans de nombreuses histoires orales des Tr’ondëk Hwëch’in.

Dawson n’est qu’à 250 kilomètres au sud du cercle arctique. La ville est connue pour son soleil de minuit en été, tandis que l’hiver, seules les aurores boréales percent l’obscurité de la nuit polaire.

Aujourd’hui, la majorité des rues sont en gravier, à l’exception de la rue Front, qui a été asphaltée en 2009. Les trottoirs sont des promenades en bois surélevées, et les commerces du centre-ville cadraient tout à fait dans un western.

Ruby’s Place, l’ancien bordel, se trouve sur la Second Avenue, tout juste au sud de la Bank of British North America et de l’hôtel Downtown de Dawson. Le bâtiment en bois de deux étages est blanc avec des ornements vert foncé et compte deux grandes fenêtres en saillie qui donnent sur les chambres de l’étage supérieur. On peut facilement imaginer les travailleuses du sexe installées à la fenêtre, regardant la rue sous leurs pieds et attendant le prochain client avec quelques pièces à dépenser.

Mais, avant que soient érigés la ville et ses bâtiments, ces terres marécageuses ont été le théâtre d’une épidémie : la fièvre de l’or.

KR:Dans les années 1800, en Amérique du Nord, chercher de l’or est une activité importante. Les gens ratissent les quatre coins du continent en quête d’or.

CB:Voici Karen Routledge, historienne à Parcs Canada.

KR: L’or est perçu comme une richesse très stable et une qui, si l’on parle d’or placérien, c’est-à-dire l’or que l’on trouve sous forme de pépites dans les ruisseaux, en théorie, une que n’importe qui pouvait trouver et extraire. C’est pour ça que, dès les années 1870, des mineurs arrivent au Yukon à la recherche d’or.

CB:En 1896, la découverte d’un important gisement d’or dans le ruisseau Rabbit, près de Dawson, là où se trouve désormais le lieu historique national de la Concession-de-la-Découverte, donne le coup d’envoi à la ruée vers l’or du Klondike.

L’été suivant, le San Francisco Examiner publie la nouvelle, évoquant des navires remplis de pépites d’or trouvées au Yukon. La frénésie est instantanée. À la fin de l’année 1897, des dizaines de milliers de personnes sont déjà débarquées au port de Skagway, en Alaska, déterminées à franchir le périlleux chemin qui les mènera à Dawson.

Pour la plupart des nouveaux venus, le premier d’une longue série d’obstacles est la piste Chilkoot, une importante voie commerciale pour les Tlingit. Ce chemin de 53 kilomètres, aujourd’hui un lieu historique national et une destination de choix pour les grandes randonnées pédestres, serpente de Skagway jusqu’au lac Bennett, qui chevauche la limite de la Colombie-Britannique et du Yukon, en passant par le col Chilkoot. Ainsi, les prospecteurs d’or transportent à pied du lourd matériel et beaucoup de provisions en plus de traverser des rivières profondes et d’affronter des blizzards, des avalanches et des températures polaires.

Arrivés au lac Bennett, ils construisent des radeaux et des bateaux pour descendre le fleuve Yukon jusqu’à Dawson, un périple de 800 kilomètres.

Pour de nombreux prospecteurs, les épreuves qu’ils doivent endurer ont raison d’eux. Des quelque 100 000 prospecteurs qui se sont lancés dans l’aventure, moins de la moitié parviennent jusqu’à Dawson.

KR: Si Dawson est où elle est aujourd’hui, ce n’est pas parce que c’était l’emplacement idéal pour y fonder une ville. La région est plutôt marécageuse et est inondée de nombreuses fois. C’est plutôt parce que c’est le meilleur endroit où construire un embarcadère pour bateaux à vapeur le plus près possible des champs aurifères. Et toute la marchandise transitait par bateau à vapeur.

CB:Au plus fort de la ruée vers l’or, Dawson compte 30 000 habitants.

KR:Lorsqu’on regarde des photos de l’époque, on voit que le versant de la colline est envahi de tentes. Chaque parcelle de terre est occupée.

CB:Aujourd’hui, la population n’y est plus que de 2 300 habitants permanents.

Les prospecteurs, en majorité des hommes, viennent de nombreux milieux différents. Mais il y a bien quelques femmes très déterminées qui bravent la piste Chilkoot.

Nancy McCarthy: Il y a eu Martha Black, il y a eu Emily Tremblay, et il y en a de nombreuses autres qui sont venues à Dawson pour faire fortune.

CB: On accueille Nancy McCarthy, conservatrice à Parcs Canada. Elle s’est intéressée de près à la collection d’artefacts du complexe historique de Dawson.

NM: Il y a les danseuses de french cancan, il y a les prostituées et il y a les femmes qui ouvrent des hôtels ou d’autres commerces légitimes. Ce n’est pas seulement l’or qui les attire, elles veulent faire fortune dans la ville grâce à la ruée vers l’or.

CB: Un moyen fiable – quoique techniquement illégal – de gagner sa vie dans la ville champignon ou “Boomtown” qu’est Dawson à l’époque est en faisant ce que l’on appelle familièrement « le plus vieux métier du monde ».

NM: Beaucoup d’hommes sont devenus des millionnaires du jour au lendemain. Ils cherchent à s’occuper. Donc, ils boivent, fréquentent les bars et les saloons et cherchent la compagnie des femmes.

CB: La prostitution fait partie intégrante de l’histoire des villes champignons d’Amérique du Nord.

Nous avons discuté de l’histoire des maisons closes dans le Nord-Ouest canadien avec L.K. Bertram, de l’Université de Toronto.

L.K. Bertram:Les historiens s’accordent à dire que, de 1873 à 1914, il y a eu tout un système économique basé sur le travail du sexe dans l’Ouest canadien qu’on appelle la tolérance du vice, c’est-à-dire que les policiers créaient des quartiers réservés qu’ils géraient avec diverses entités, dont des maquerelles, des partenaires commerciaux et des propriétaires fonciers.

CB: Une maquerelle est la propriétaire et exploitante d’un bordel.

LKB: Ces secteurs étaient créés dans différentes villes pour que les gens puissent s’y rendre et dépenser leur argent. On croyait que ces secteurs étaient essentiels, et qu’une ville sans quartier réservé était condamnée à l’échec, que les gens ne voudraient pas y rester, que la plupart iraient dans la ville voisine pour dépenser leur argent.

CB: Dans les premières années, les travailleuses du sexe sont les bienvenues à Dawson et travaillent pour la plupart dans le quartier réservé non officiel de la Second Avenue, communement connus comme “Redlight”.

Nombre d’entre elles travaillent dans des saloons, des maisonnettes privées ou dans la rue. Parfois, un commerce comme une blanchisserie ou un magasin de tabac sert de façade à des activités de prostitution.

Revenons à Nancy.

NM: Ces lieux étaient réglementés et les travailleuses étaient examinées par un médecin chaque mois pour freiner la propagation de maladies, notamment les maladies vénériennes. De plus, elles devaient payer des amendes, mais n’y voyaient pas d’inconvénients, car l’argent était versé à une œuvre de charité.

CB: Ces amendes servent en quelque sorte de droits de licence et permettent aux femmes de travailler librement. L’argent sert ensuite à payer les soins des patients dans les hôpitaux de Dawson.

Lorsque la ruée vers l’or s’essouffle en 1899, la population chute et Dawson devient une ville habitée par des mineurs saisonniers et leurs familles. Cette transition change la façon dont les travailleuses du sexe sont perçues.

NM: La population de Dawson se stabilise, des commerces ouvrent leurs portes et les épouses rejoignent leur mari. Dawson devient une communauté. L’attitude change et on les surnommes les “brazen women” Elles travaillent dans ce qu’on appelle le « Paradise Alley » de la Second Avenue, et les commerçants n’aiment pas les voir traîner dans le coin, Ils lancent une campagne pour chasser ces femmes du quartier, et leurs efforts sont fructueux.

CB:Les descentes policières et les amendes astronomiques forcent les travailleuses du sexe à quitter le centre-ville. Un bon nombre d’entre elles s’installent en périphérie de la ville pendant plusieurs années, dans un secteur de l’autre côté de la rivière Klondike connu à l’époque sous le nom de Klondike City, ou sous le nom plus péjoratif de Lousetown, qui signifierait « ville de voyous ».

Or aucun de ces noms ne correspond au nom original. Les Tr’ondëk Hwëch’in appellent cette région Tr’ochëk et l’utilisent comme camp de pêche saisonnier depuis des générations… jusqu’à ce que les nouveaux arrivants les déplacent. Du milieu de l’été à la fin de l’automne, les Tr’ondëk Hwëch’in y pêchent et font sécher le saumon chinook et le saumon kéta, tannent des peaux d’orignaux et de caribous et préparent la nourriture pour l’hiver. Aujourd’hui, le paysage culturel de Tr’ochëk est reconnu comme un lieu historique national.

Lentement, le visage démographique de Dawson se transforme et les petits prospecteurs indépendants font place aux salariés de grandes sociétés minières. Par le fait même, le modèle d’affaires des travailleuses du sexe change lui aussi.

Fini le modèle selon lequel les femmes offrent elles-mêmes leurs services et, dans les années 1930, les maisons closes, ou bordels, c’est-à-dire des lieux où plusieurs femmes travaillent pour une maquerelle, deviennent la norme.

Construit en 1902, après que la majorité des bâtiments de la 2e Avenue ont été ravagés dans un incendie, Ruby’s Place est à l’origine une blanchisserie et une maison de chambres et non un bordel.

De nos jours, Ruby’s Place convient parfaitement à l’esthétique de Dawson et, pour les personnes qui n’en connaissent pas l’histoire, l’endroit se confond avec les autres bâtiments commerciaux et résidentiels qui occupent les rues principales.

Shelley Bruce: Lorsqu’on approche de Ruby’s Place, on remarque que c’est un joli bâtiment à deux étages. La façade est accolée sur le trottoir en bois.

CB:Nous discutons avec Shelley Bruce, conseillère en patrimoine bâti à Parcs Canada. Son travail consiste à comprendre l’histoire des édifices patrimoniaux et d’en garantir la conservation pour les années à venir.

SB: Le bâtiment a une fausse façade, une caractéristique architecturale fort intéressante qu’on retrouve généralement dans les petites localités et plus particulièrement dans le Nord. En fait, le mur de devant s’élève plus haut que le reste du bâtiment.

CB: Une fausse façade est un élément décoratif qui sert à donner l’impression qu’un bâtiment, lorsqu’on le regarde de la rue, est beaucoup plus grand qu’en réalité. C’est une solution beaucoup plus économique et rapide que de bâtir toute une structure d’une grande qualité.

SB: Sur la façade avant il y a deux portes, une à gauche, une à droite. C’est très symétrique comme façade. Au second étage, on remarque des oriels, de grandes fenêtres en saillie sur la façade que la plupart des gens appelleraient aujourd’hui des « baies vitrées ».

CB: En 1935, Ruby Scott achète le bâtiment.

On en sait très peu sur la vie de Ruby avant son arrivée à Dawson. Née dans le Nord de la France dans les années 1880 sous le nom de Mathilde de Lignères, elle a travaillé à divers endroits, notamment à Paris, à Strasbourg, à San Francisco, à Honolulu et à Keno City, une autre localité minière du Yukon. Elle a tenu des maisons closes dans quelques-unes de ces villes.

Peu après avoir acheté le bâtiment, elle ouvre les portes de sa maison close, faisant concurrence à d’autres maquerelles de Dawson, dont Bombay Peggy.

Ruby est une femme généreuse et opulente, et devient un visage familier dans la ville minière grâce à sa personnalité plus grande que nature.

NM: On voit sur les photos que Ruby était, dans sa jeunesse, une femme éblouissante. Avec l’âge, elle ressemble à n’importe quelle autre grand-mère. Il y a des photos d’elle dans sa maison, avec ses napperons en dentelle. Sur une photo, on la voit en train de faire un gâteau avec un enfant. Elle donnait l’image d’une personne très chaleureuse, attentionnée et protectrice.

CB: Nous avons discuté avec deux personnes qui ont grandi à Dawson et qui ont des souvenirs d’enfance de Ruby.

Le grand-père de Marvin Dubois s’est installé à Dawson en 1897, et 50 ans plus tard, ses parents ont acheté l’hôtel Downtown, à quelques pas de Ruby’s Place.

Marvin Dubois: Ruby est entrée dans nos vies très naturellement.

Nous étions très jeunes, nous n’avions pas encore commencé l’école. Ruby habitait tout près. Elle connaissait ma mère et mon père, elle nous connaissait nous et on la connaissait. Elle avait un petit chien appelé Chi Chi.

CB: Marvin vit maintenant en Belgique, mais il vient souvent rendre visite à ses deux sœurs, qui habitent toujours Dawson. Enfants, ils savaient que des femmes travaillaient pour Ruby, mais ils ne connaissaient pas la nature de leur travail. Ce dont Marvin se souvient le plus, c’est de la générosité de Ruby.

MD: C’était l’été, on s’amusait tout le monde ensemble et on a su entre les branches que si on offrait des fleurs à Ruby, elle nous donnerait une tablette de chocolat. À ce moment de la saison, il y avait des fleurs sauvages partout. On a donc fait un gros bouquet, puis on est passé par la ruelle, c’est là qu’on jouait habituellement, et on a frappé à sa porte arrière. Elle a ouvert et on lui a offert les fleurs. Je ne me souviens plus des détails, mais je suis certain qu’elle a dit qu’elles étaient magnifiques, puis elle nous a donné notre récompense. On était aux anges.

CB: Lenore Calnan est propriétaire de Raven’s Nook, un magasin général situé tout près de Ruby’s Place.

Lenore Calnan: Dawson était un endroit génial où grandir. On pouvait aller où bon nous semblait. On était en sécurité. On n’avait peur de rien, juste des animaux sauvages occasionnels.

CB: Lenore a de beaux souvenirs de Ruby.

LC: Ruby était très connue à Dawson. C’était une femme aimée et respectée. Quand j’étais enfant, elle nous invitait souvent à prendre le thé et à manger des biscuits chez elle. J’ai un souvenir clair de la décoration excessive de sa salle de séjour. Il y avait des napperons en dentelle et des petites figurines en porcelaine partout. J’étais terrorisée à l’idée d’accrocher quelque chose et de casser une figurine. Mais Ruby était une femme charmante.

CB: Les adultes la connaissaient pour son extravagance. On la voyait souvent avec des manteaux de fourrure coûteux et des bagues en diamant, mais elle était aussi incroyablement généreuse. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a envoyé des colis aux hommes de Dawson qui étaient dans les Forces armées. Elle était connue pour ses talents culinaires et invitait régulièrement ses voisins à des soirées où elle servait des vins français et de l’oie ou de la dinde rôtie.

Ruby savait aussi comment s’amuser. Elle allait au bar du coin, payait la tournée à tout le monde et clamait :

VOIX HORS CHAMP : Je gagne mon argent grâce aux hommes, et bien, je le dépense avec eux!

CB: L’être qu’elle aimait le plus au monde était son petit pékinois blanc, Chi Chi. Elle le tient dans ses bras sur presque toutes les photos. Ruby l’apportait à l’église, et quand Chi Chi est mort, elle a convaincu le prêtre de la laisser enterrer son chien à côté du cimetière.

Si nous en savons peu sur le passé de Ruby, nous en savons encore moins sur les femmes qui ont travaillé pour elle, car elles sont rarement mentionnées dans les documents historiques.

En tant que maquerelle, Ruby avait la responsabilité de ses employées. Elle en avait de deux à huit en tout temps. Elles arrivaient généralement pour la saison minière au printemps et partaient à l’approche de la longue et sombre saison hivernale. Nous savons qu’ au moins deux d’entre elles se sont installées à Dawson et ont épousé des hommes du coin. Certaines sont revenues pendant plusieurs années, mais la plupart ne restaient qu’une saison au Ruby’s Place.

Nous avons demandé à L.K. pourquoi il y a si peu d’information sur ces femmes.

LKB: C’est une question très importante dont la réponse reste mystérieuse. Une partie de cette réponse est que ces femmes ne voulaient pas qu’on sache ce qu’elles faisaient. Elles se cachaient. Elles cachaient leur véritable identité. C’était une façon de protéger leur avenir.

L’argent qu’elles faisaient pouvait dépasser l’entendement, mais pouvait aussi être terrible. C’était une société très inégalitaire à l’époque, en particulier pour les femmes qui étaient abandonnées par leur mari et avaient parfois des enfants à nourrir. Aucun autre travail ne leur aurait procuré autant d’argent. Les salaires proposés dans les économies dites légitimes étaient à bien des égards des salaires de misère. De nombreuses femmes en venaient donc à la conclusion que ce type de travail était leur meilleure option. Ce que beaucoup d’entre elles avaient en commun était tout simplement une stratégie financière. Ces histoires sont peu connues, car ces femmes dissimulaient où elles vivaient après leur saison comme filles de joie.

CB: Nous avons toutefois un indice de la façon dont elles dépensaient leur argent : un artefact, une robe des années 1930 qui a été découverte dans les murs de Ruby’s Place pendant des travaux de restauration. Cette robe, probablement utilisée comme matériau d’isolation, aurait été à la mode à l’époque de Ruby. Il est impossible d’en connaître la propriétaire ou l’endroit où elle a été achetée, mais elle relate une histoire intéressante sur la mode dans le Nord.

SB: Cette robe qui a été trouvée dans les murs est une robe d’été légère pour femme. C’est une robe pleine longueur à manches courtes avec un ruban qui s’attachait à la taille. Elle a une série de boutons le long de l’encolure. Elle est d’une jolie couleur violet pâle ou lavande et a un motif de damier.

CB: Sur l’étiquette, il est indiqué que la robe est de la marque Billie Burke Sportswear. L’actrice Billie Burke est surtout connue pour son rôle de Glinda, la gentille sorcière du Nord, dans le film Le Magicien d’Oz et, comme c’est le cas de nombreuses célébrités aujourd’hui, elle avait sa propre ligne de vêtements.

Nous avons quelques informations concernant deux des femmes qui ont travaillé pour Ruby le plus longtemps : Cecile Hebit a reçu une amende de 50 $ en 1962 à l’issue d’une affaire judiciaire consignée dans les registres de la ville. La seconde, connue sous le nom de Liberty, a marqué l’épouse d’un agent de la GRC, qui l’a qualifiée de « jolie » et « gentille ». L’épouse de l’agent avait ceci à dire à propos de Liberty :

VOIX HORS CHAMP : Ces femmes sont un cadeau du ciel. Il y a tellement d’hommes et elles rendent la ville beaucoup plus sécuritaire.

CB: Ruby’s Place n’était pas qu’un bordel. L’endroit servait aussi de salon où se réunissaient les gens du coin pour boire et discuter. Et, comme l’explique L.K., les maisons closes, ou maisons de débauche, comme celle de Ruby, jouaient un autre rôle important.

LKB: Ces maisons servaient presque d’écoles d’éducation sexuelle, ce qui faisait la fierté des tenancières et des travailleuses. C’était une société très réprimée sur le plan sexuel. Ainsi, les travailleuses enseignaient aux gens les bases de la sexualité, ce qu’elles voyaient comme une sorte de travail humanitaire. Certaines travailleuses se voyaient même comme protectrices des autres femmes. Beaucoup de jeunes hommes se rendaient dans les maisons de débauche pour y avoir leur première expérience sexuelle. Les travailleuses pensaient qu’en leur enseignant les bonnes bases et en leur transmettant certaines connaissances sur la sexualité et certains de ses aspects les plus importants, comme la prévention des maladies et la contraception, elles protégeraient non seulement ces jeunes hommes, mais aussi les femmes qu’ils fréquentaient.

CB:Le quotidien des travailleuses du sexe dans les villes champignons était souvent bien loin du mythe créé par Hollywood.

LKB: Il est important de ne pas idéaliser la vie de la majorité des gens de cette époque. La vie était très dure, en particulier pour les travailleuses du sexe, qui avaient une relation précaire avec les autorités. La police pouvait se retourner contre elles à tout moment. Un client pouvait se retourner contre elles à tout moment. Une journée pouvait passer de bonne à mauvaise à horrible. Par exemple, certains des mémoires écrits par des maquerelles et des filles de joie relatent souvent des journées ennuyeuses où les femmes ne faisaient qu’attendre qu’un client se présente.

CB: Nous ne savons pas d’où venaient ces femmes ou comment Ruby s’y prenait pour attirer de nouvelles recrues chaque année. Nous ne savons pas non plus si des femmes autochtones ont travaillé pour elle, mais L.K. croit que c’est peu probable…

LKB: Vous savez, lorsque je parle de mon travail aux gens, lorsque je leur dis que j’étudie l’histoire du travail du sexe au Canada, on veut immédiatement me parler des femmes autochtones. Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il y avait une forte ségrégation dans les économies du travail du sexe dans le Nord-Ouest canadien. Dans la plupart de ces villes, il était strictement interdit aux femmes autochtones de mettre les pieds dans ces établissements.

Je pense que cela s’explique par le fait que les économies de prostitution étaient synonymes d’argent et que l’argent était synonyme de pouvoir à cette époque.

De plus, ça créait cette grande proximité avec les hommes européens, ce qui, aux yeux du gouvernement canadien, était très dangereux. On craignait que les femmes autochtones et les hommes européens puissent créer le genre de liens qu’on établit dans les maisons de débauche, qui étaient comme des clubs sociaux, qu’ils finiraient par connaître des gens. Certains tombaient amoureux parfois, d’autres devenaient des partenaires commerciaux. Si les femmes autochtones tissaient ce genre de liens avec les hommes européens, ils auraient pu devenir des alliés politiques.

CB: Dans les années 1930 et 1940, les maisons de prostitution sont régies avec l’aide d’Allen Duncan, le médecin de Dawson, qui examine régulièrement les travailleuses pour diagnostiquer toute infection transmise sexuellement. S’il diagnostique une maladie, les femmes doivent rester à l’hôpital.

Dans ses mémoires, Medicine, Madams and Mounties: Stories of a Yukon Doctor, le docteur Duncan raconte l’histoire d’un homme qui est venu le consulter. L’homme lui raconte qu’il a été embauché pour remplacer les fenêtres de Ruby’s Place. Tout allait fort bien pendant l’installation des fenêtres du premier étage, mais lorsque le temps est venu de remplacer celles du deuxième, il n’a pu s’empêcher de regarder les femmes travailler et, en guise de paiement, il avait choisi de « passer du temps avec les femmes ». Malheureusement, il a contracté une infection qui l’a obligé à se présenter au bureau du médecin.

Au cours des années 1950, Dawson reconnait le rôle essentiel que jouent les maisons de prostitution dans la communauté, à condition qu’elles aient un permis de maison de chambres. Cette politique de tolérance prend fin lorsque le révérend Taylor de l’église St. Paul arrive à Dawson. Il est horrifié d’apprendre que des bordels exercent leurs activités ouvertement avec l’accord tacite des autorités et écrit au premier ministre Louis St-Laurent pour s’en plaindre, car la prostitution est, techniquement, une infraction fédérale. L’intervention de la GRC qui s’ensuit entraîne l’imposition d’amendes et d’accusations qui nuisent aux revenus de Ruby.

Pendant ce temps, la population de Dawson continue de diminuer, chutant à 881 habitants au début des années 1960. De leur côté, les exploitations minières industrielles commencent à fermer, réduisant ainsi l’afflux de mineurs saisonniers.

Épuisée par tous ces obstacles juridiques et financiers, Ruby décide de fermer sa maison après 27 ans d’activité.

L.K. nous explique ce qui se produisait quand un bordel fermait ses portes.

LKB: Quand une maison de débauche ferme ses portes, les hommes commencent à aller au bar pour trouver quelqu’un, n’importe qui, et l’aspect éducatif disparaît. On voit alors exploser les cas d’infections transmissibles sexuellement, notamment les infections graves, et le nombre de grossesses non désirées.

Le fait que Ruby soit restée en activité si longtemps démontre qu’elle offrait encore un service dans cette ville, un service que les gens jugeaient essentiel.

CB: Ruby’s Place rouvre ses portes en tant que maison de pension, et Ruby y vit jusqu’en 1969. À 84 ans, elle emménage dans la résidence pour personnes âgées de Dawson, où elle continue à faire partie intégrante de la communauté. On la décrit comme « l’hôtesse officieuse » de la résidence. Chaque soir, pour le souper, elle enfile ses plus beaux vêtements.

Elle meurt cinq ans plus tard. Pendant ses années à Dawson, elle s’est liée d’amitié avec le prêtre local, le père Marcel Bobillier, qui se souvient d’elle affectueusement. Voici ce qu’il a écrit dans son journal après avoir célébré le service funéraire de Ruby :

VOIX HORS CHAMP : J’ai mis au repos l’âme de ma chère amie, Ruby Scott, originaire d’Amiens et vivant à Dawson depuis près de 40 ans.

Elle venait d’avoir 89 ans la veille de son décès. C’était une femme au cœur d’or que je visitais presque chaque jour. Je l’avais invitée au restaurant la semaine précédant sa mort. Elle est tombée dans sa chambre et s’est fracturé la hanche. Elle a été transportée à Whitehorse, mais elle est décédée pendant l’opération.

Elle était si bien connue et appréciée pour sa bonté que l’église était presque pleine. Même le père américain et le ministre anglican étaient présents à la messe d’enterrement.

CB: Alors que Ruby met fin à ses activités et que l’industrie minière ralentit au début des années 1960, l’époque de la ruée vers l’or occupe une grande place dans la mythologie canadienne. Parcs Canada décide de jouer un rôle actif pour préserver cette histoire.

KR:Dawson est commémoré en raison de son association avec la ruée vers l’or. La ruée vers l’or du Klondike a été l’une des dernières d’une série de ruées vers l’or qui ont eu lieu aux quatre coins du globe, principalement au XIXe siècle.

Les lieux historiques nationaux du Klondike regroupent plusieurs lieux de Dawson et des environs. Il s’agit entre autres du lieu historique du Complexe-Historique-de-Dawson, qui est essentiellement le centre-ville historique de Dawson, le S.S. Keno, un vapeur à roue, le lieu historique national de la Drague-Numéro-Quatre, situé tout juste à l’extérieur du centre-ville dans les champs aurifères et enfin le lieu historique national de la Concession-de-la-Découverte, là où le gisement d’or a été découvert en 1896.

CB:Dans les années 1960 et 1970, Parcs Canada fait l’acquisition d’un échantillon représentatif de bâtiments pour donner aux visiteurs une idée de ce qu’était Dawson à son apogée.

Shelley, notre conseillère en patrimoine bâti, nous explique pourquoi Ruby’s Place fait partie de l’acquisition.

SB:Ruby’s Place est un exemple tout à fait unique de ce à quoi ressemblait un commerce typique à Dawson entre 1896 et 1910.

Les bâtiments commerciaux de l’époque avaient parfois une fausse façade qui, d’une certaine façon, fait paraître le bâtiment plus grand et imposant que ce qu’il y a réellement. Ruby’s Place est un très bel exemple de cette technique.

Mais si ce bâtiment a été désigné, c’est surtout en raison de sa fonction la plus connue, une maison close, et c’était sa fonction principale de 1935 à 1962. Ruby’s Place est un des rares bâtiments de ce genre qui existent encore aujourd’hui.

CB: Au rez-de-chaussée, on y trouvait une salle de séjour, une cuisine et un espace désigné à l’usage personnel de Ruby. À l’étage, il y avait une salle de bain et trois chambres à coucher – là où vivaient et travaillaient les employées de Ruby.

SB: Je repense aux maisons de mes tantes et de ma grand-mère à l’époque.

CB: Ruby’s Place représente le flair qu’avait Ruby pour l’extravagance.

SB: Le rez-de-chaussée est une explosion de couleurs, de motifs et de textures. Les murs sont d’un rose tirant sur le pêche. Le plancher est recouvert d’un linoléum fleuri et les meubles sont recouverts d’une multitude de motifs floraux roses, bleus et de différents blancs. Même les coussins sont de couleurs contrastantes. Il y a plusieurs lampes accrochées au mur ou posées sur le mobilier.

Et cette explosion de couleur ne s’arrête pas au rez-de-chaussée. Les fauteuils et canapés surrembourrés du deuxième étage se déclinent eux aussi en divers imprimés floraux. Les chambres des employées sont garnies d’un lit à deux places, d’un fauteuil, d’une commode et de quelques lampes.

CB: Les travaux d’entretien sont un défi de tout instant depuis que Parcs Canada a fait l’acquisition de Ruby’s Place.

Comme la majorité des localités du Nord canadien, Dawson est construit sur le pergélisol. Autrement dit, le sol est gelé en permanence, ou du moins il est censé l’être.

SB: Le pergélisol est un sol qui reste en grande partie gelé tout au long de l’année. Alors que le climat change, on commence à voir certains de ses effets dans le réchauffement des températures. Ceci est préoccupant pour le pergélisol, car à mesure que les températures augmentent, le sol ne reste pas gelé de la même manière ni aussi longtemps.

CB: Un bâtiment aux fondations instables risque fort de s’écrouler avant longtemps. Ainsi, Parcs Canada a lancé en 2018 un projet de conservation afin d’atténuer les conséquences du dégel du pergélisol.

On a alors déplacé temporairement Ruby’s Place et les fondations de bois ont été remplacées par des pieux fixés dans la roche-mère à plusieurs mètres dans le sol. Le pergélisol évoluera avec les années, mais la roche-mère, elle, demeurera un ancrage solide.

Pendant les travaux de conservation, les équipes ont trouvé de nombreux objets dans les murs de Ruby’s Place, dont la robe mentionnée plus tôt, ainsi qu’une édition de 1906 du San Francisco Examiner. Peut-être Ruby l’avait-elle ramené de son séjour à San Francisco, ou peut-être s’agissait-il d’une lecture de chevet d’une des femmes. Quoi qu’il en soit, ce journal est en quelque sorte un hommage approprié au sensationnalisme qui a déclenché la ruée vers Dawson.

Voix hors champ: Des sacs d’or en provenance du Klondike

CB: Aujourd’hui, l’extérieur de Ruby’s Place ressemble beaucoup à ce qu’il était pendant ses plus belles années, si ce n’est que le bâtiment a été surélevél, en plus d’avoir un nouvel escalier pour dissimuler les pieux et une large vitrine qui raconte l’illustre histoire de ce lieu.

Ruby’s Place et l’héritage de Ruby Scott continuent de rayonner à Dawson.

KR: Je pense qu’il est vraiment important de préserver Ruby’s Place parce que cet endroit témoigne d’un type de travail qui a toujours été présent à Dawson et qui était dominé par les femmes et géré principalement par celles-ci, et aussi parce qu’il y a si peu de traces des femmes qui ont été travailleuse du sexe. Ruby’s Place nous permet de découvrir un fragment de leur histoire même si elles ont laissé très peu de traces derrière elles.

CB: Parcs Canada assure la conservation de près de vingt-quatre bâtiments à Dawson. Dans une ville champignon du Nord, où beaucoup de gens n’étaient que de passage, ces bâtiments sont une trace tangible de leur présence, de leur labeur, de leurs joies et de leurs difficultés.

SB Sans ces travaux de préservation, Dawson aurait aujourd’hui un visage bien différent. Vous n’auriez aucune idée de ce qu’était la vie dans une ville champignon rurale près de la frontière.

CB:Il est important de se rappeler que la région de Dawson a une histoire qui remonte à bien plus loin que la frénésie de la ruée vers l’or.

KR: C’est aussi un lieu important dans ce que nous appelons aujourd’hui l’histoire du colonialisme. Les Tr’ondëk Hwëch’in ont récemment soumis la candidature de Dawson et d’autres sites à proximité pour qu’ils soient inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’ UNESCO, au motif que Dawson et ces lieux représentent une étape importante de l’histoire de l’humanité : celle de l’expérience autochtone de l’adaptation au colonialisme européen. Cet endroit a donc une signification différente pour divers groupes. Et une des choses que nous tentons de faire à Parcs Canada est de raconter une plus grande variété d’histoires que nous le faisions auparavant.

CB: Dawson City est situé à 525 kilomètres au nord-ouest de Whitehorse. Vous pouvez y aller toute l’année en avion ou, si vous avez envie de voir du pays, vous pouvez vous y rendre en voiture; il vous faudra conduire environ 27 heures à partir d’Edmonton, en Alberta.

Les lieux historiques nationaux du Klondike sont ouverts aux visiteurs toute l’année, mais la plupart des activités et des visites sont offertes uniquement de mai à septembre.

Le balado Re :Trouver est une production de Parcs Canada. Un grand merci à Nancy McCarthy, Karen Routledge, Shelley Bruce, Marvin Dubois, Lenore Calnan, Jeff Thorsteinson, Dylan Meyerhoffer et L.K. Bertram. Pour en apprendre davantage sur le sujet, vous pouvez lire « The Other Little House », un article écrit par L.K. sur le travail du sexe dans les villes champignons du Canada et publié dans le Journal of Social History.

Pour une foule d’informations supplémentaires, dont une exposition sur Google Arts et Culture présentant des photos historiques de Dawson et de Ruby’s Place, consultez les notes du balado ou visitez le site parcs.canada.ca/retrouver. Vous trouverez aussi une visite autoguidée en voiture pour découvrir la région de Dawson sur l’application mobile de Parcs Canada.

Ici Christine Boucher. Merci d’avoir été des nôtres!

Bibliographie

Sources de publication

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Bertram, LK. “The Other Little House: The Brothel as a Colonial Institution on the Canadian Prairies, 1880-93.” The Journal of Social History 56, 1 (Automne 2022): 58-88.

Bertram, LK. “The Madam Who Shot the Mountie.” University of Toronto Magazine, June 25, 2019. https://magazine.utoronto.ca/research-ideas/culture-society/the-madam-who-shot-the-mountie/ (en anglais seulement)

Cameron, Allen. Medicine, Madams and Mounties: Stories of a Yukon Doctor. Vancouver: Raincoast Books, 1989.

Dobrowolsky, Helene. Hammerstones A History of the Tr’ondëk Hwëch’in. Dawson City: Tr’ondëk Hwëch’in, 2014.

Graeme, Toni. Women who Lived and Loved North of 60. Victoria:Trafford Publishing, 2000.

Porsild, Charlene. Gamblers and Dreamers: Women, Men, and Community in the Klondike. Vancouver: UBC Press, 1998.

Ryley, Bay. “From Regulated to Celebrated Sexuality: Can-Can Girls and Gold Diggers of the Klondike 1898-Present.” Canadian Woman Studies 14, no. 4 (1994): 58-61.

Ryley, Bay. Gold Diggers of the Klondike: Prostitution in Dawson City, Yukon, 1898-1908. Winnipeg: Watson & Dwyer, 1997.

Tr’ondëk-Klondike World Heritage Site Nomination Advisory Committee. “Tr’ondëk-Klondike: UNESCO World Heritage List Nomination for Inscription.” Dawson City: Tr’ondëk-Klondike World Heritage Site Nomination Advisory Committee, 2021. http://tkwhstatus.ca/wp-content/uploads/2021/03/T-K-Nomination-DossierLow-Res.pdf (en anglais seulement)

Article non publié

McCarthy, Nancy. “The Oldest Profession.” Article non publié, Dawson City Museum, 2005.

Documents gouvernementaux

Anderson, S. “Summary Record Report: Ruby’s House, Dawson City, Yukon Territory.” Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Services techniques, 1971.

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Guest, Hal. “A History of Ruby’s Place, Dawson, Y.T. with some Comment on Prostitution at the Klondike 1896-1962.” Parcs Canada, Microfiche 91 (1983).

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Parcs Canada, Services du patrimoine bâti. “Dawson Historical Complex National Historic Site of Canada, Dawson City, Yukon: Building Condition Report, Ruby’s Place, 2018.” Parcs Canada, 2018.

Priesse, Peter. “Around Town: The Archaeological Investigation of Four Structures in Dawson City, Yukon.” Parcs Canada, Microfiche 392 (1987).

Mattie, Joan. “Nineteen Dawson buildings: (1) Dawson Daily News, (2) Telegraph Annex, (3) K.T.M. Building, (4) Bank of British North America, (5) B.Y.N. Ticket Office, (6) Robert Service Cabin, (7) Customs House, (8) Macaulay House, (9) Black Residence, (10) Commanding Officer’s Residence, (11) St. Andrew’s Manse, (12) St. Andrew’s Church, (13) Ruby’s Place, (14) Third Avenue Hotel Complex, (15) Harrington’s Store, (16) Mme. Tremblay’s Store, (17) N.C. Company Warehouse, (18) Bigg’s Blacksmith Shop, (19) West’s Boiler Shop.”Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine, Dossier 88-12.

McCarthy, Nancy. “Scope of Collection Statement: Moveable Resources Associated with Dawson Historical Complex National Historic Site of Canada.” Collections et conservation, Parcs Canada, 2008.

Real Property Services, Heritage Conservation Network, Western Region. “Heritage Recording Report: Ruby’s Place Dawson City Building Complex, Dawson City, Yukon - Project Number R.014745.030.” Winnipeg: Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2011.

Thorsteinson, Jeffrey. “Ruby’s Place Cabins, Dawson City, Yukon.” Rapport complémentaire 88-12. Parcs Canada, 2019.

Sources principale

Journaux du Père Marcel Bobillier. Yukon Archives. Father Marcel Bobilier fonds. 88/43. Journal XV. 30 June 1974.

Louisbourg: Esclavage et liberté à la forteresse de Louisbourg

Que savez-vous au sujet de l’esclavage dans l’histoire de notre pays?

Dans cet épisode, nous reconstituons la vie d’esclaves dans une forteresse française du XVIIIe siècle en Nouvelle-Écosse, à travers l’histoire unique de la première femme d’affaires noire connue au Canada, Marie Marguerite Rose, qui a subit l’esclavage et retrouvé sa liberté à la forteresse de Louisbourg.

Un remerciement particulier à nos producteurs-conseils : Dr Karolyn Smardz-Frost et Dr Afua Cooper du projet A Black People’s History of Canada (en anglais seulement)

En apprendre davantage :

Le Programme national de commémoration historique repose sur la participation des Canadiens afin d’identifier les lieux, les événements et les personnages d’importance historique nationale. Tous les membres du public peuvent proposer un sujet afin qu’il soit étudié par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada.

Obtenir plus d'informations sur la façon de participer à ce processus

Transcription

Voix: Vous écoutez un balado signé Parcs Canada. This podcast is also available in English.

Christine Boucher: Cet épisode traite d’agressions sexuelles et de violence raciste dans le contexte de la traite des esclaves, sans toutefois entrer dans les détails. Le balado est donc destiné à un public averti.

Nous sommes en Afrique de l’Ouest, au début des années 1700. Une jeune femme africaine dont on ne connaît pas le nom est assise près du feu. Le regard fixé sur les flammes, elle est loin de s’imaginer que son destin l’attend de l’autre côté de l’océan dans la brumeuse province de la Nouvelle-Écosse, où elle deviendra propriétaire d’auberge et de taverne... et la première femme d’affaires noire connue de l’histoire du Canada.

Malheureusement, rien ne peut la préparer non plus au prix terrible qu’elle devra payer pour y arriver. Enlevée, puis vendue dans la traite des esclaves de l’Atlantique – l’une des expériences humaines les plus abominables – elle ne retrouvera la liberté qu’après avoir été réduite en esclavage pendant 19 ans dans une forteresse française où elle portera un nom imposé par ses asservisseurs.

Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur l’histoire de cette femme connu sous le nom de Marie Marguerite Rose.

Afua Cooper: L’image que le Canada aime projeter est d’un endroit qui a accueilli les esclaves des États-Unis. C’est une réussite qui est célébrée. Cependant, l’esclavage a également fait partie de l’histoire Canada.

CB: Je m’appelle Christine Boucher et vous êtes à l’écoute de ReTrouver – Esclavage et liberté à la forteresse de Louisbourg.

Cet épisode a été produit en collaboration avec l’Université Dalhousie dans le cadre de son projet intitulé Une histoire des Noirs au Canada.

Parcs Canada est connu dans le monde entier comme un chef de file de la conservation de la nature, mais nous faisons bien plus que cela. Avec nos partenaires, nous commémorons les personnages, les lieux et les événements qui ont façonné le pays que nous appelons maintenant le Canada. Rejoignez-nous pour rencontrer des experts de tout le pays et explorer les lieux, les récits et les artéfacts qui donnent vie à l’histoire.

Dans cet épisode, au lieu d’utiliser des termes comme esclave et propriétaire d’esclaves, nous allons opter pour des termes comme personne asservie et asservisseur pour reconnaître l’humanité des personnages historiques. Il sera parfois nécessaire d’utiliser des termes comme « esclavage » et « traite des esclaves » lorsqu’on discutera du traitement d’êtres humains en tant que marchandises à vendre et à acheter.

Nous sommes en 1757, dans la ville forteresse de Louisbourg, capitale de la colonie française de l’Île-Royale.

Comédien de doublage : Le 27 août à 21 h, des agents ont trouvé le corps de Marie Marguerite Rose dans son appartement. Les officiels de la cour ont aussitôt commencé à faire un inventaire des objets qui se trouvaient dans la demeure.

Premier item, The chemise d’homme neuve n’ayant qu’une manche l’autre manche attachée avec une épinglette

CB: Imaginez une liste sur laquelle figure tout ce que vous possédiez le jour de votre décès.

Comédien de doublage: Deux colliers l’un de perle et l’autre de grenad.

Deux paires de bas de soie l’un blanc et l’autre gris

CB: Est-ce qu’on y trouverait le portrait de votre vie?

Comédien de doublage: Deux vieux manteaux de calemande, un rouge l’autre blanc. Une paire de culottes de panne ainsi qu’un vieux coffre.“

CB: Les historiens et historiennes adorent les documents d’inventaire homologués comme celui que vous venez d’entendre. Les biens d’une personne peuvent nous en dire long sur sa vie et les choses qui lui importent. À notre connaissance, l’inventaire de Marie Marguerite Rose est le seul en son genre pour une personne affranchie de l’Île-Royale. Il offre quelques indices sur l’histoire remarquable de sa résilience et fait le lien entre le Louisbourg du XVIIIe siècle et l’ensemble de l’empire français, où la morue salée, le sucre, le rhum et, oui, les humains aussi, étaient vendus comme marchandise et transportés entre l’Afrique, les Caraïbes, l’Amérique du Nord et l’Europe.

Dans la colonie française, au moins 400 personnes sont réduites en esclavage, et seulement six personnes sont affranchies, dont Marie Marguerite Rose.

Pour reconstituer son histoire, nous devons commencer par l’emplacement : un port fortifié sur une île dans l’océan Atlantique.

L’île fait partie du territoire traditionnel de la Nation mi’kmaw, qui l’appelle Unama’ki, ce qui signifie, en gros, « Terre du brouillard ». Aujourd’hui, ce territoire est connu sous le nom du Cap-Breton, qui fait partie de la province maritime de la Nouvelle-Écosse.

La forteresse de Louisbourg est établie en 1713 sur une péninsule de la côte est du Cap-Breton et fait partie de la colonie de l’Île-Royale, près de ce qui est maintenant la collectivité de Sydney.

Louisbourg se trouve à un endroit stratégique : un port en eau profonde dans le golfe du Saint-Laurent, la principale voie d’entrée vers la colonie de la Nouvelle-France, c’est-à-dire le Québec d’aujourd’hui. Puisqu’elle est un point d’accès facile à la pêche de la morue franche, elle est bien placée pour devenir la capitale de l’Île-Royale en 1719.

Au XVIIIe siècle, au moment où la France et la Grande-Bretagne luttent pour le contrôle de l’Amérique du Nord, la France investit toute son énergie dans ses défenses. Louisbourg est donc fortifiée avec des murs de pierre élevés, et des troupes y sont cantonnées en permanence pour la défendre en cas d’attaque. Cependant, malgré tous ses efforts, la France finit par perdre Louisbourg. Au cours des 45 années d’existence de la forteresse, la Grande-Bretagne s’en empare à deux reprises et en détruit les fortifications après la deuxième bataille.

AC: Louisbourg est un endroit exceptionnel. Il protège le golfe du Saint-Laurent, la porte d’entrée du Canada.

CB: Voici Afua Cooper, historienne et professeure en études sur les Noirs de l’Université Dalhousie à Halifax.

AC: Pour moi, l’endroit n’est pas juste un emblème et un symbole de la lutte du 18e siècle entre la France et la Grande-Bretagne. Mais c’est aussi de la création de ce monde d’esclavage, du monde de la traite et des migrations qui ont eu lieu partout dans l’Atlantique.

CB: La traite des esclaves représente de grosses affaires en France et dans l’ensemble de son empire, et Louisbourg y joue un rôle central. On y pêche de la morue en abondance, et les meilleurs morceaux sont envoyés aux marchés lucratifs en Europe. Les découpes moins désirables de poissons séchés et salés sont envoyées au sud, dans les colonies françaises des Caraïbes, pour y nourrir les personnes asservies. Ce sont elles qui produisent le café, le sucre, le rhum et la mélasse qui sont expédiés en Europe et en Amérique du Nord. La plupart des personnes asservies à Louisbourg naissent dans ces colonies des Caraïbes et sont transportées et vendues comme les biens qu’elles produisent.

Mais... Ce n’est pas le cas de Marie Marguerite Rose, qui grandit en Guinée, en Afrique de l’Ouest, avant d’être capturée et vendue dans la traite des esclaves à l’âge de 19 ans.

À partir de ce moment, on la force à entreprendre le cruel périple connu sous le nom du « Passage du milieu », qui fait partie de la route de commerce transatlantique entre l’Afrique et les Caraïbes. Les personnes asservies qui se trouvent dans les navires sont traitées de façon abominable. L’entassement, les pénuries de nourriture, la violence, la maladie et la mort y sont chose courante.

Nous ne savons pas dans quelle colonie française des Caraïbes la jeune femme débarque, mais, peu après son arrivée, elle est vendue à un des membres de l’élite de Louisbourg, baptisée comme catholique et renommée Marie Marguerite Rose. Son vrai nom, tout comme un grand pan de son histoire, est tombé dans l’oubli... Un résultat des efforts de déshumanisation de ses asservisseurs.

Dans les colonies françaises et britanniques qui deviendront le Canada, environ 4 000 personnes noires et 2 700 Autochtones sont réduits en esclavage. La plupart des Autochtones asservis par les Français vivent dans la colonie de la Nouvelle-France, tandis que, à l’Île-Royale, 90 % des personnes asservies sont d’origine africaine en raison des liens commerciaux étroits avec les Caraïbes.

Marie Marguerite Rose est asservie à Jean et Magdeleine Loppinot, un couple de classe supérieure qui a douze enfants. Elle est probablement chargée de la plupart des tâches domestiques du ménage, comme balayer les planchers, nettoyer, préparer les repas, couper le bois de chauffage, recueillir de l’eau du puits, s’assurer que le feu de foyer reste allumé, jardiner et prendre soin des enfants.

Charlene Chassé: Quand je parle de Marie Marguerite Rose, j’ai un grand sentiment d’attachement.

CB: Voici Charlene Chassé.

CC: Je suis interprète au lieu historique nationale de la Forteresse-de-Louisbourg. Je m’identifie comme Néo-Écossaise d’origine africaine.

CB: Elle présente l’histoire de Marie Marguerite aux visiteurs du lieu historique national.

CC: Ç’était surement l’enfer pour elle d’être forcée à venir ici et d’être réduite à l’esclavage. Mon Dieu... Je peux me mettre à sa place. Se retrouver sur un bateau à l’autre bout du monde, avec la température qui chutait en remontant la côte vers Louisbourg... Et ensuite d’être asservie, de perdre sa liberté, qu’on lui impose une façon de penser, en plus d’être à l’entière disposition de ses asservisseurs...tout le temps.

CB: Environ 3 % de la population de Louisbourg sont des personnes asservies. La plupart sont des domestiques comme Marie Marguerite – des serviteurs, des bonnes d’enfants, des cuisiniers, des jardiniers. L’esclavage de plantation que nous associons souvent aux cultures de coton, de tabac et de canne à sucre aux États-Unis et aux Caraïbes n’existe pas au Canada, mais le travail est tout de même pénible, comme nous l’explique Afua Cooper :

AC: Imaginez ce que le corps doit endurer en faisant ce genre de travail chaque jour, sans repos adéquat et sans alimentation suffisante.

CB: Reconstituer la vie des personnes asservies, c’est tout un défi. Les détails et les données sont difficiles à trouver. Les personnes asservies apparaissent dans les données démographiques, mais il arrive souvent qu’elles ne soient pas nommées ou qu’elles soient simplement classées en tant que possessions. Des archéologues ont trouvé des artefacts comme des outils et des objets domestiques liés à des personnes asservies... Mais comme la plupart ne pouvaient posséder une propriété ou étaient analphabètes, il est rare de trouver des sources écrites comme des journaux ou des lettres.

Ken Donovan: La dernière chose qu’un asservisseur veut faire, c’est enseigner à quelqu’un comment lire et écrire. Parce que quand on sait comment lire et écrire, on a un certain pouvoir.

CB: Voici Ken Donovan, un historien retraité de Parcs Canada. Pour en apprendre plus sur la vie des personnes asservies, les chercheurs et chercheuses comme Ken doivent rassembler des bribes d’informations tirées de documents comme des actes de naissance, des certificats de baptême, des testaments, des dossiers judiciaires, des actes de vente et des avis de recherche dans les journaux pour des personnes asservies qui se sont enfuies.

KD: C’est comme ça qu’on découvre ce que j’aime appeler la documentation secondaire. Un petit bout par ici. Un petit bout par là. Il faut s’acharner un peu. On peut être en train de chercher tout autre chose, et finalement on trouve une personne asservie.

CB: Afua nous explique l’importance des annonces dans les journaux.

AC : Des asservisseurs publiaient dans les journaux du Haut et du Bas-Canada ainsi que les Maritimes, des avis de recherches pour des esclaves. Des annonces pour acheter des personnes. Des personnes noires comme esclaves ou pour vendre leurs esclaves et même retrouver ceux qui s’étaient enfuis.

CB: Certains asservisseurs tiennent des inventaires homologués qui comprennent des détails sur les personnes asservies qui font partie de leur ménage comme leur âge, leur sexe, leurs compétences et le prix pour lequel elles pourraient être vendues.

Un acte de baptême nous offre un autre indice sur la vie de Marie Marguerite. Deux ans après être arrivée à Louisbourg, elle donne naissance à un fils nommé Jean-François. Sur l’acte, on indique que l’identité du père est « inconnue », mais il est très probable qu’il s’agit de l’asservisseur de Marie Marguerite.

On compte à Louisbourg au moins 35 enfants nés de femmes asservies. Les personnes asservies dorment souvent sous le même toit que leurs asservisseurs. Les femmes et les filles asservies vivent sous la menace constante d’abus sexuels.

AC: Lorsqu’on se penche sur les actes de naissance de personnes asservies, vous avez ces femmes qui donnent naissance à des enfants décrits comme mulâtres ou ayant un père inconnu. Mais c’est quoi un « père inconnu »? Savez-vous ce que ça veut dire un “père inconnu”? C’est honteux que les prêtres aient écrit ça, parce qu’ils savaient très bien qui était le père.

Un bon nombre de ces enfants aux pères « inconnus » sont le résultat de viol. Tu vis dans la même maison que ton asservisseur. Tu dors peut-être au sous-sol, au grenier ou dans une petite pièce sombre. Tu es vulnérable. Les femmes sont vulnérables aux agressions sexuelles commises par des hommes. Et je ne dis pas que les hommes n’étaient jamais agressés sexuellement. On publie des recherches maintenant qui montrent que ça se produisait aussi.

Mais ce sont principalement des femmes qui subissaient ces agressions, et pas seulement les femmes. Parfois c’était de jeunes filles, de jeunes enfants qui étaient violées par leurs asservisseurs.”

CB: Comme il est le fils de Marie Marguerite, Jean-François naît dans l’esclavage, et on considère qu’il fait partie de la richesse personnelle de son asservisseur. Plus tard, Jean-François vit et travaille aux côtés de sa mère. Malheureusement, nous n’en savons pas beaucoup plus sur sa courte vie. Nous savons seulement qu’il meurt de causes inconnues juste avant l’âge de treize ans.

La grande majorité des personnes asservies à l’Île-Royale meurent pendant qu’elles sont réduites en esclavage. Seules quelques-unes retrouvent leur liberté. Dans le cas de Marie Marguerite, sa liberté lui est rendue à l’âge de 38 ans, après 19 ans de service forcé et non rémunéré.

Pour la remplacer, les Loppinots achètent un garçon de douze ans appelé Amable Louis Cezar.

Comme bien des détails sur la vie de Marie Marguerite, nous ne savons pas exactement comment elle retrouve sa liberté. Dans l’ensemble de l’empire français, des asservisseurs affranchissent parfois une personne asservie si elle est malade ou si elle ne peut plus travailler, mais de tels cas sont rares. Dans certains cas, une personne asservie peut gagner un salaire ailleurs tout en travaillant pour son asservisseur afin d’épargner assez d’argent pour acheter sa propre liberté.

Peu après son affranchissement, Marie Marguerite épouse un commerçant mi’kmaq appelé Jean-Baptiste Laurent, qui est peut-être celui qui a racheté sa liberté.

Ça a été le cas pour un autre couple de Louisbourg, Jean Baptiste Cupidon et Catherine Françoise. Jean Baptiste Cupidon est un homme affranchi qui travaille pour l’asservisseur de Catherine pendant un an pour racheter la liberté de son épouse. Catherine et Jean Baptiste offrent leurs possessions – et leur propre personne – comme garantie jusqu’à ce qu’ils aient payé la somme totale qui est due.

Pour ce qui est de Marie Marguerite et de son mari, il y a bien des aspects de leur vie commune que nous ne connaissons pas. Par exemple, nous ne savons pas comment ils font connaissance et si Jean-Baptiste Laurent habite à Louisbourg avant leur union. Cependant, nous savons que le couple loue une maison à pans de bois dotée d’une cour et d’un jardin près de la demeure des Loppinots, et que c’est dans cette maison qu’ils vivent et tiennent leur auberge.

Les informations que nous avons à propos de la vie de Marie Marguerite en tant qu’aubergiste sont tirées en grande partie d’une lettre qu’elle n’a jamais reçue. La lettre, envoyée par un contact d’affaires français, a été découverte dans une archive britannique quelques siècles après le décès de Marie Marguerite.

Anne Marie Lane Jonah: C’est une lettre personnelle.

CB: Voici Anne Marie Lane Jonah, une historienne de Parcs Canada qui vit à Halifax.

AMLJ : Il lui écrit pour lui dire que, la dernière fois qu’il a quitté Louisbourg, il est parti à bord d’un navire et a immédiatement été capturé par un corsaire britannique.

CB: Les corsaires sont des groupes de pirates mercenaires sanctionnés par la Couronne qui ont la permission en temps de guerre d’attaquer les navires des nations ennemies et de s’emparer de leur cargaison.

AMLJ: Il lui explique qu’il a fait un très long trajet tortueux avant de finalement arriver chez lui dans le Sud-Ouest de la France. Il lui écrit pour lui dire qu’il ne reviendra pas, que la guerre l’empêche de revenir.

CB: Avant l’arrivée des services postaux modernes, les gens envoient souvent des lettres à bord de navires privés.

AMJL: Il mentionne qu’il lui a laissé un coffre rempli de biens et une procuration. Il lui dit, donc, « Je ne reviendrai pas, pouvez-vous régler mes affaires pour moi, s’il vous plaît? ». Il lui demande aussi de vendre le coffre et d’aller chercher l’argent qu’on lui doit pour sa part d’un corsaire. Il lui demande de faire affaire avec des commerçants de Louisbourg en son nom et il a confiance qu’elle sera en mesure de gérer tout ça. Cette lettre nous offre beaucoup de détails sur sa vie en tant qu’aubergiste. On comprend mieux à quel point elle s’était intégrée à la communauté des affaires en ville. On voit qu’elle était connue, qu’on la considérait comme digne de confiance et qu’elle pouvait régler cette affaire auprès de M. Himbert, un des commerçants les mieux nantis.

On peut vraiment l’imaginer. Ensuite, bien qu’il ait clairement indiqué qu’il ne reviendrait pas, il conclut sa lettre en disant qu’il attend encore l’honneur de pouvoir la revoir un de ces jours. C’est une forme de politesse, mais c’est beaucoup plus qu’une simple lettre commerciale. À travers ses mots, on voit qu’ils se tiennent tous les deux en grande estime, et que c’est un grand plaisir pour lui de pouvoir la côtoyer. Il espère pouvoir la revoir un jour.

Soudainement, j’ai l’impression qu’on la voit un peu plus clairement. On peut l’imaginer en train de marcher dans la rue pour aller régler des affaires avec un commerçant.

CB: Marie Marguerite n’a jamais pu lire cette lettre parce que le navire qui la transportait a aussi été capturé par des corsaires britanniques, ce qui explique pourquoi elle s’est retrouvée dans des archives en Grande-Bretagne... et, de là, dans la recherche d’Anne Marie Lane Jonah.

AMLJ: Déjà, lorsque je commence une recherche historique sur une femme, c’est plutôt difficile de trouver des renseignements. Mais lorsque j’essaye de me renseigner sur une femme de couleur, le défi est quadruplé.

CB: D’une façon ou d’une autre, il est peu probable que Marie Marguerite ait pu lire la lettre. Elle meurt soudainement en août 1757, la même année où la lettre est envoyée.

Les personnes asservies ne mènent habituellement pas de très longues vies. Marie Marguerite a environ 40 ans à son décès. Ça peut sembler jeune de nos jours, mais, en tant que femme soumise à des travaux forcés et à de l’exploitation, elle a probablement vécu plus longtemps que bon nombre de ses pairs.

On ne sait pas ce qui a causé sa mort ou ce qui est advenu de son mari, mais on peut dire avec certitude qu’il n’est pas resté beaucoup plus longtemps – à peine un an plus tard, Louisbourg livre son dernier combat. Les forces britanniques attaquent la forteresse et finissent par la capturer et la détruire, un tournant décisif de la guerre de Sept Ans. Un an plus tard seulement, la bataille décisive des plaines d’Abraham, près de la ville de Québec, met fin aux ambitions colonialistes de la France sur le territoire qui est maintenant le Canada.

Fait intéressant, un garçon asservi de douze ans appelé Olaudah Equiano se trouve à bord d’un des navires de guerre britanniques. Il devient une figure exceptionnelle du mouvement abolitionniste contre l’esclavage et met sur papier son expérience à la bataille de Louisbourg des années plus tard.

Comédien de doublage : Nous sommes arrivés au Cap-Breton à l’été 1758. C’est ici que les soldats allaient être déployés pour donner l’assaut à Louisbourg. Mon maître participait à la direction du débarquement...

Des troupes françaises nous attendaient sur les rives et ont tenté d’empêcher notre débarquement pendant un long moment, mais elles ont finalement été repoussées de leurs tranchées, et nos troupes ont été déployées. Nos troupes ont poursuivi les Français jusqu’à la ville de Louisbourg. Le combat a fait de nombreux morts dans les deux camps...

Nos forces terrestres ont assiégé la forteresse... Et enfin Louisbourg a été capturée.

CB: Les Britanniques détruisent la majeure partie des fortifications pour empêcher toute reprise de la forteresse. Pendant 200 ans, les murs de pierre effondrés sont les seuls vestiges de la ville qui subsiste.

Mais, pendant les années 1960, un nouveau chapitre s’annonce pour Louisbourg.

L’industrie minière du Cap-Breton, autrefois florissante, connaît un déclin. Pour relancer l’économie régionale et fournir de nouveaux emplois aux mineurs, le gouvernement du Canada propose de rebâtir la forteresse de Louisbourg pour en faire un musée d’histoire vivante.

Les visiteurs du lieu historique national de la Forteresse-de-Louisbourg y découvrent aujourd’hui une reconstitution, faite après de minutieuses recherches, d’un quart de la ville originale. Des bâtiments militaires, commerciaux et domestiques bordent les rues et offrent une interprétation de ce à quoi devait ressembler la vie dans le port fortifié pendant son âge d’or.

La reconstitution est un projet colossal qui prendra plus de vingt ans à achever, mais, heureusement, on peut se fier à des plans et à des cartes détaillés établis par l’administration française au cours des années 1700. C’est assez étonnant qu’une société qui se flattait de sa raison et de sa bonne gouvernance n’y ait pas vu l’esclavage comme une contradiction. Une contradiction qui persiste pendant presque un autre siècle, l’esclavage étant banni dans l’ensemble de l’empire français en 1848. Dans la majorité des colonies britanniques, y compris en Amérique du Nord britannique, l’esclavage est aboli seulement 14 ans plus tôt, soit en 1834.

La forteresse reconstituée est progressivement ouverte au public à partir de 1968. Au début, on n’y présente pas beaucoup d’information sur l’histoire de l’esclavage aux visiteurs.

L’interprétation est principalement axée sur les sections de la classe supérieure de la ville. Puis, Parcs Canada commence tranquillement à se pencher sur un spectre élargi de la société de Louisbourg.

Revoici Ken, l’historien retraité de Parcs Canada.

KD: J’ai travaillé pendant des années avec Charlene. Je n’exagère pas en disant des années, parce que nous devions éduquer la population du Cap-Breton sur l’esclavage.

On a créé des scénarios et des visites guidées basés sur Marie Marguerite Rose parce qu’on avait d’assez bons détails sur sa vie. J’ai travaillé avec Charlene pendant un certain nombre d’années pour élaborer un scénario d’interprétation.

Pendant quelques années, on a eu une visite qui portait sur l’esclavage. Je pense qu’on avait 27 personnes dans environ 14 maisons, et on pouvait se promener dans les rues et dire : « Vous voyez cette maison? C’est ici qu’habitait untel. »

Lorsque Marie Marguerite Rose a été désignée personnage d’importance historique nationale, on a fait venir des groupes à la forteresse en bus, des personnes noires de Whitney Pier, à Sydney. Ça a réellement été un moment de célébration.

CC: Çe fut long avant de ressentir la pleine émotion qui me lie à cette dame. Lorsque j’ai commencé à travailler ici... Bon, tu fais une visite guidée sur l’esclavage, tu parles de l’esclavage. Mais c’est venu me chercher un peu plus tard. Et ça m’a donné envie de faire un peu plus de recherches sur les origines et les vies de ces personnes. Maintenant, c’est ma passion.

Notre travail a une grande valeur parce qu’on se donne corps et âme. Ces personnes méritent d’être traitées avec dignité. Elles ne l’ont pas été de leur vivant. Elles ne l’ont pas été pendant leurs passages sur Terre. Et c’est pour ça que je suis là. Je veux vous montrer qui elle était. Je veux qu’on la reconnaisse comme un être humain, comme toute autre personne sur Terre à cette époque.

Certaines personnes pensaient que, si ta peau était d’une autre couleur, si tu parlais une autre langue, si tu venais d’un autre pays, ou d’un autre continent, elles pouvaient te traiter différemment parce qu’elles croyaient que tu n’avais pas de valeurs morales, pas de conscience... Tu étais considéré comme un animal.

CB: Toute visite à Louisbourg devrait inclure un arrêt à la plaque qui souligne l’importance historique nationale de Marie Marguerite Rose. Elle se trouve dans un champ d’herbe où s’élevait autrefois l’auberge de Marie Marguerite et témoigne de l’endroit où bien des voyageurs et commerçants se rendaient pour trouver un lit et un repas autour duquel ils pouvaient discuter des affaires du jour.

Voici un extrait de la plaque :

Comédien de doublage: Capturée en Afrique à 19 ans et amenée à l’île Royale où elle fut vendue à un membre de l’élite coloniale, Marie Marguerite Rose devint une figure célèbre du premier chapitre de l’escl avage des Noirs au Canada. Son histoire témoigne de la présence de l’esclavage sur l’île Royale et au Canada, où la population globale d’esclaves noirs était estimée à 1 375 personnes sous le Régime français.

CB: La reconstitution historique de Louisbourg ne comprend pas seulement que les bâtiments. Des interprètes costumés comme Charlene présentent l’histoire de l’endroit aux visiteurs. Pour les aider à bien incarner leur rôle, Elizabeth Tait, une conservatrice de textiles de Parcs Canada, reproduit des vêtements historiques, y compris deux robes inspirées de l’inventaire homologué de Marie Marguerite.

Elizabeth Tait: Son inventaire est intéressant parce que le style des vêtements est français, mais les tissus sont un peu inhabituels. J’étais surprise qu’il y ait autant de coton dans son inventaire, et c’est bien possible que ce soit en raison de ses origines guinéennes.

CB: Certains des morceaux les plus colorés de l’inventaire pourraient être liés au fait que Marie Marguerite est originaire de l’Afrique de l’Ouest, où la production du colorant indigo est un travail important pour bien des femmes.

Voici Ken et Charlene encore une fois.

KD: Elle a du colorant, du colorant bleu. Et on sait que le long de la côte africaine, particulièrement la côte ouest, les vêtements colorés étaient très prisés.

CC: C’était des couleurs vives. On peut voir que ses origines ressortent dans la façon dont elle s’habille et la façon dont elle s’occupe de son ménage.

CB: Charlene nous a décrit les habits de Marie Marguerite :

CC: Elle portait un bonnet, une veste en laine, une jupe en laine, des bas de laine, une chemise et un jupon. Lorsqu’ils ont dressé son inventaire, ils ont noté qu’elle avait des bas de soie. Elle avait aussi un mouchoir de cou paré de dentelle. On suppose que ces choses lui ont été offertes, parce qu’une personne asservie n’aurait pas pu se procurer des bas de soie ou de la dentelle, et c’est bien de la dentelle faite à la main. On ne portait pas ces accessoires au quotidien. Le sentiment est incroyable lorsque l’on porte ce costume. On se sent comme une personne de la classe moyenne. Et pas de corset, Dieu merci.

CB: Voici encore la conservatrice Elizabeth Tait

ET: Un de mes aspects préférés de l’inventaire, c’est qu’on y décrit une chemise d’homme dont une manche est fixée avec des épingles. Marie Marguerite était mariée, on peut donc supposer qu’elle savait coudre et qu’elle fabriquait une chemise pour son mari. C’est charmant. Et c’est très humain. C’est comme si ça rendait son existence plus tangible.

CB: Ces costumes historiques nous aident à présenter ce qu’était la vie à Louisbourg.

CC: Les vêtements jouent un rôle important. C’est ce que les gens reconnaissent. Lorsqu’ils viennent ici, ils veulent s’immerger dans l’histoire.

CB: Lorsque nous parlons avec Charlene, c’est évident qu’elle éprouve un attachement profond envers cette femme africaine née il y a des siècles et amenée contre son gré à un endroit lointain qu’elle n’avait pas choisi...

Nous avons eu la même impression en parlant avec Afua Cooper :

AC: Cette histoire est extraordinaire! Elle est tellement exceptionnelle, parce que, quand elle est décédée, Marie Marguerite avait une succession. Elle a laissé des vêtements, des épiceries en quelque sorte. Elle a été affranchie deux ans avant son décès. Donc, pendant ces deux années, elle a commencé sa nouvelle vie. Elle s’est mariée. Elle a établi une taverne et une auberge. Le fait d’avoir laissé des traces comme ça est simplement formidable. C’est pour cette raison que Parcs Canada a installé une plaque en son honneur, pour souligner son histoire, pour souligner sa vie. Elle est quand même décédée. Et c’est malheureux. Elle n’a jamais pu revoir sa terre natale. Mais ça me fait chaud au cœur de savoir qu’elle a pu établir sa propre entreprise. Je suis contente qu’elle ait pu se marier, qu’elle ait vécu une relation amoureuse. Ça me rend heureuse.

C’est un cas plutôt rare, parce que la plupart des personnes réduites à l”esclavage avaient des vies marquées par la brutalité et la mort. Et, vous savez, on ne sait pas grand-chose à propos d’eux. En raison de leurs statues, il n’ont pas laissé beaucoup de traces.

CB: Les personnes asservies à l’Île-Royale ont été privées de leur nom, de leur identité et de leur histoire. Elles ont été forcées à s’adapter à des vies qu’elles n’avaient pas choisies et qu’elles ne pouvaient pas contrôler. Mais c’était des êtres humains à part entière, qui avaient des histoires personnelles et des identités qu’elles cachaient sans doute à leurs asservisseurs. Elles occupaient une place importante dans un endroit comme Louisbourg, mais, malheureusement, nous en savons très peu sur la plupart de ces femmes, hommes et enfants qui ont été réduits en esclavage jusqu’à leur mort.

AC: Je suis née et j’ai grandi en Jamaïque. Mon patrimoine est celui des personnes asservies. Mes ancêtres ont été réduits à l’esclavage. Ils ont vécu l’esclavage. Mais j’ai confiance que certains ont pu s’enfuir.

Malheureusement certains ont été tués mais c’est mon patrimoine, et c’est pour ça que j’ai choisi ce travail. C’est plus qu’un projet universitaire, c’est quelque chose de très personnel pour moi.

CC: Je travaille ici depuis près de 20 ans maintenant. Je n’aurais pas pu demander un meilleur travail ou un lieu de travail plus magnifique que celui-là. Tout le monde aspire à avoir un bureau avec une vue magnifique. Mais moi, ce que je vois de mon bureau est absolument à couper le souffle.

Les gens doivent être mis au courant. Plus de gens doivent être informés au sujet de l’esclavage au Canada. Ce n’était pas seulement les Français. Les Britanniques ont aussi amené leurs esclaves ici. Si on ne connaît pas notre histoire, on ne sait pas où on s’en va. On devrait tous s’intéresser à notre histoire pour mieux comprendre notre avenir.

CB: Le lieu historique national de la Forteresse-de-Louisbourg est ouvert au public à longueur d’année, mais, pour vivre l’expérience d’interprétation complète, on vous recommande d’aller y faire un tour pendant la saison estivale. Il se trouve à cinq heures de route d’Halifax, ou vous pouvez prendre l’avion jusqu’à la ville de Sydney, qui se trouve à proximité. On peut y visiter la ville fortifiée reconstituée et apprendre des tas de choses auprès des interprètes costumés, qui créent un vrai portrait vivant.

Le balado ReTrouver est une production de Parcs Canada. Un grand merci à nos productrices-conseils Afua Cooper, et Karolyn Smardz Frost, qui est une archéologue et historienne spécialisée dans le transnationalisme noir nord-américain.

Un grand merci aussi à Charlene Chasse, Ken Donovan, Anne Marie Lane Jonah et Elizabeth Tait.

Pour une foule d’informations supplémentaires, dont une exposition sur Google Arts et Culture présentant des photos, des cartes historiques de la forteresse et des visites virtuelles, veuillez consulter les notes du balado ou visitez le site parcs.canada.ca/retrouver

Ici, Christine Boucher. Merci d’avoir été des nôtres!

Bibliographie

Sources de publication

Cooper, Afua. The Hanging of Angélique, the Untold Story of Canadian Slavery and the Burning of Old Montréal. Athens: University of Georgia Press, 2007

Donovan, Ken. “Slaves and Their Owners in Ile Royale, 1713-1760. Acadiensis 25, no1 (automne 1995): 3-32.

Donovan, Ken. “Slaves in Île Royale, 1713-1758.” French Colonial History 5, (2004): 25-42.

Donovan, Ken. “Slaves in Cape Breton, 1713-1815.” Directions: Canadian Race Relations Foundation 4, no 1 (été 2007): 44-45.

Donovan, Ken. “Slavery and Freedom in Atlantic Canada’s African Diaspora: Introduction.” Acadiensis 43, no 1 (hiver/printemps 2014): 109-115.

Donovan, Ken. “Female Slaves as Sexual Victims in Ile Royale.” Acadiensis 43, no 1 (hiver/printemps 2014): 147-156.

Games, Alison F. and Adam Rothman. “What is Atlantic History?” Dans Major Problems in Atlantic History: Documents and Essays, édité par Alison F. Games and Adam Rothman. Boston: Wadsworth Cengage Learning, 2008, 1-2.

Lane-Jonah, Anne Marie. “Everywoman’s Biography: The Stories of Marie Marguerite Rose and Jeanne Dugas at Louisbourg.” Acadiensis 45, no 1 (hiver/printemps 2016): 143-162.

Documents gouvernementaux

Cousineau, Jennifer and Meryl Oliver. “Introduction to Fortress of Louisbourg National Historic Site, Nova Scotia.” Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine, Dossier 09-267.

Gallinger, Mikaela. “Chloe Cooley.” Commission des lieux et monuments historiques du Canada, Rapport au feuilleton 2021-03.

Gelly, Alain. “Olivier Le Jeune (-1654).” CLMHC, Rapport au feuilleton 2021-02.

Gelly, Alain. “Marie Marguerite Rose (vers 1717-1757).” CLMHC, Rapport au feuilleton 2007-12.

Maheu-Bourassa, Alexie. “Mathieu Da Costa.” CLMHC, Rapport complémentaire 2020-05.

Schwartz, Mallory. “The Enslavement of African People in Canada (c. 1629-1834).”CLMHC, Rapport au feuilleton 2019-16.

Sources principale

Equiano, Olaudah. The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African, Written by Himself. Londres: Olaudah Equano, 1789. https://www.gutenberg.org/files/15399/15399-h/15399-h.htm (en anglais seulement)

“Proces-Verbal de l’inventaire et vente des effets laissés par la nommée Roze négresse, femme de Baptiste, Indien, 27 aout 1757.” Fond des Colonies, Centre des Archives’ d’Outre-Mer, G2, Dépôt des papiers publics des colonies; greffes judiciaires Baillage de Louisbourg, DPCC GR vol. 212, dossier 552, folio 2 verso and items 3 and 11.

Pierre Lapouble to Mme Jean Baptiste Laurent. 26 février 1757. Letter 30. Public Record Office (PRO)/Admiralty 264-30. The National Archives, Kew, UK.

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