2.2 État de l’intégrité commémorative du lieu

Comme il a été défini au chapitre précédent, l’un des objectifs fondamentaux inhérents au concept d’intégrité commémorative est atteint lorsque les ressources qui symbolisent ou caractérisent l’importance historique nationale d’un lieu ne sont ni détériorées ni menacées. Les pages qui suivent dressent sommairement un portrait de la situation actuelle en ce qui a trait aux ressources et aux paysages culturels liés à l’objectif de commémoration du lieu ainsi qu’à la communication des messages d’importance historique nationale.

ÉTAT DU PAYSAGE ET DES RESSOURCES CULTURELS DE NIVEAU 1

Le paysage culturel

Le paysage culturel du lieu historique national du Canada du Manoir-Papineau est fondé sur une organisation spatiale datant de l’époque des Papineau, sur un style d’aménagement « pittoresque » et sur une relation étroite entre ces aménagements et la géographie du lieu.

De nos jours, le paysage a conservé son armature d’origine; cependant, plusieurs composantes de poids sont situées à l’extérieur de la propriété transférée à Parcs Canada, notamment l’entrée du domaine, la maison du jardinier, la chapelle funéraire, l’écurie, la prairie de la grange et le rivage. Sur le cap Bonsecours, la nature a progressivement reconquis ses droits, une végétation de plus en plus envahissante obstruant aujourd’hui les points de vue vers la rivière des Outaouais et la prairie de la grange. Certaines interventions postérieures à l’occupation par les Papineau ont par ailleurs altéré le paysage; l’asphaltage et le réalignement du chemin du cap, l’élimination de la haie et du chemin au sud du manoir, l’aménagement de courts de tennis dans l’espace occupé jadis par la prairie de la grange, en sont des exemples. Bien que de nombreux grands arbres continuent de projeter leur ombre sur les pelouses, les riches plates-bandes de fleurs ainsi que les jardins potagers qui longeaient le chemin du cap, du côté de la rivière, ne sont plus qu’un souvenir et, dans l’ensemble, le domaine, dépouillé de tout son mobilier et de ses ornements extérieurs, a perdu le charme rustique et pittoresque perceptible sur les photographies anciennes.

Scène hivernale devant le manoir vers 1886
Scène hivernale devant le manoir vers 1886
Louis-Joseph-Amédée Papineau pose pour la postérité en compagnie de son fils Louis-Joseph, de sa bru Caroline Pitkin Rogers et de leurs enfants.

© Parcs Canada / Fonds Jacqueline Papineau-Desbaillets Reproduction : Parcs Canada Nég. : 206/ic-1G/PR-6/S-109, n° 4
Le patrimoine bâti

L’état dans lequel le manoir et ses dépendances nous sont parvenus résulte de plusieurs transformations apportées au fil des utilisations, sans, toutefois, que ces modifications en aient gravement compromis l’intégrité. Physiquement parlant, l’état de conservation des bâtiments varie : le manoir, suite aux récents travaux de conservation/restauration, est en bon état, le hangar à grains nécessite des travaux de conservation, le musée doit être reconverti quant à son usage tandis que la survie du pavillon de thé est menacée. Somme toute, d’importants travaux s’impo-sent encore pour permettre une remise en état complète du lieu et pour atteindre l’intégrité commémorative.

Vue de la façade du manoir, de la tour de la bibliothèque et de la façade du musée familial, vers 1893
Vue de la façade du manoir, de la tour de la bibliothèque et de la façade du musée familial, vers 1893

© Parcs Canada / Fonds Renée Papineau Christie (FA-661)
Reproduction Parcs Canada, nég. : 206/ic-1F/PR-6/S-64, nos 2 et 3

Le manoir seigneurial a conservé sa morphologie originelle, mais son apparence extérieure a été altérée suite à diverses réparations. En 1979, la toiture principale a été renouvelée, le revêtement des tours octogonales remplacé et le carré principal, avec sa tour carrée, a été recouvert de crépi puis peint de couleur. Exécutés en situation d’urgence, ces travaux ont remédié à certains problèmes d’infiltration d’eau, mais parce qu’ils étaient fondés sur des connaissances historiques insuffisantes, ils ont été réalisés sans respecter entièrement l’intégrité du bâtiment.

Avant que les premiers travaux de conservation/restauration ne soient entrepris, en 1999, le manoir seigneurial présentait d’importantes déficiences techniques. Essentiellement, on constatait que :

  • Les fondations de maçonnerie de pierres devaient être restaurées et qu’il était impératif d’effectuer un drainage périmétrique, les infiltrations d’eau à ce niveau ayant endommagé la structure du plancher du soubassement. Les huisseries et boiseries extérieures des fenêtres, surtout du côté sud et sur les tours d’angle, étaient en très mauvais état. La tour de l’est accusait un déversement important en raison des modifications apportées à la structure, en 1930. La tour des latrines montrait aussi une propension au déversement et sa toiture devait être refaite. Le salon hors-oeuvre de 1880 présentait des défaillances sérieuses au niveau de sa toiture, de ses murs de brique recouverts de crépi et de ses menuiseries. L’eau avait gravement endommagé les souches des cheminées ainsi que les cheminées elles-mêmes. La véranda, avec son escalier et son garde-corps, portait des marques de détérioration importantes.
  • À l’intérieur, on notait que les espaces de service du soubassement avaient été complètement transformés; un dallage avait remplacé les planchers de bois et une chaufferie occupait une partie de l’espace originel de la cuisine. Le rezde-chaussée avait été « redécoré » avec l’ajout de quelques plafonds, d’un nouveau plancher de bois, de cabinets de chauffage architecturaux et de moulures; mais, hormis les papiers peints, presque entièrement disparus, l’aménagement des espaces et leur ornementation avaient été conservés en grande partie.
  • L’installation des systèmes électromécaniques en 1930 avait endommagé plusieurs pièces de charpente dans tout le bâtiment. Ces systèmes ne répondaient pas aux normes en vigueur en matière de sécurité et de confort.

Les travaux exécutés depuis lors ont permis de corriger en bonne partie toutes ces déficiences (voir La conservation et la mise en valeur du lieu). Par contre, à l’étage des chambres, non touché par les travaux de 1999, la configuration du plan originel a été grandement modifiée quand, en 1930, une partie du long hall-corridor et plusieurs chambres ont été remplacées par une salle de bal. Toutes les menuiseries d’origine, incluant le plancher, ont aussi été renouvelées. En ce qui concerne le toit, la charpente, altérée par l’aménagement de la salle de bal, doit être consolidée.

Le hangar à grains a fait l’objet de travaux d’urgence en 1998. La conservation des épures à la fresque peintes sur les murs et plafond constitue un problème délicat; des travaux de stabilisation ont été effectués pour limiter leur détérioration, mais une restauration complète reste à entreprendre. La toiture métallique, fortement détériorée, permettait les infiltrations d’eau; elle a dû être temporairement recouverte d’une membrane d’étanchéité.

La construction en maçonnerie de briques sur fondation de pierre est en général bien conservée; des réparations sont toutefois requises. En façade, l’escalier d’entrée et le petit balcon de l’étage sont en mauvais état tan-dis que l’escalier de bois qui courait le long du mur pignon nord est disparu.

Le musée familial est un bâtiment en très bon état, hormis la façade de pierre qui se détache du mur gouttereau de brique. La toiture surhaussée et les travaux de rénovation intérieurs ont cependant altéré l’intégrité de l’édifice.

De toutes les constructions qui subsistent, le pavillon de thé, dans un état de dégradation avancé, est de loin le plus menacé; il demeure jusqu’à maintenant récupérable, mais les infiltrations d’eau continuent d’endommager tout le mur extérieur en bois, du côté de la rivière; des travaux sont nécessaires avant que tout le pan de mur soit emporté.

Enfin, soulignons que la structure du kiosque (ancien campanile) ainsi que sa toiture en bardeau présentent des signes de pourriture.

Les ressources archéologiques

De façon générale, les ressources archéologiques sont dans un bon état de conservation, particulièrement les anciens aménagements paysagers (1850-1930) localisés autour du manoir (chemin du cap, allée seigneuriale, chemin de ceinture, allée gravillonnée entre le manoir et le hangar à grains, allée menant au campanile, anciennes fontaines, système d’alimentation en eau et de drainage, etc.). Cette situation s’explique par le fait que le Seigniory Club, propriétaire des lieux à compter de 1930, ne les a pas détruits, mais plutôt recouverts d’une couche de sol sur laquelle les nouveaux aménagements ont été réalisés.

L’érosion naturelle a toutefois considérablement détérioré le secteur sis à l’ouest du pavillon de thé actuel, où l’on avait aménagé une aire de repos dans la seconde décennie du XXe siècle (la terrasse du cadran solaire et le sentier d’origine, situés à la base de l’escalier permettant d’accéder à l’aire de repos,ont en effet entièrement disparu). À l’ouest de l’aire de repos, des traces du sentier gravillonné menant au jardin ont néanmoins relativement bien résisté aux outrages combinés du temps et de la nature. Tout ce secteur a cependant été envahi par une végétation luxuriante au cours des dernières années, occultant les anciens aménagements.

Les vestiges imposants et relativement bien conservés de la glacière en pierre construite au nord de l’allée seigneuriale, dans la dernière courbe avant d’arriver au manoir, sont envahis par les racines de plusieurs arbres ayant poussé le long des murs et à l’intérieur même de l’ouvrage, racines qui menacent de disloquer la maçonnerie. Mentionnons, enfin, que la portion nord du jardin des Papineau, au sud-ouest du manoir, a été en grande par-tie détruite lors d’aménagements paysagers réalisés par le Seigniory Club.

La collection archéologique se compose pour sa part de quelque 4 000 objets et écofacts divers récupérés lors des fouilles et autres interventions menées par Parcs Canada. Tous les traitements préliminaires ont été effectués (enregistrement, nettoyage, étiquetage et numérotage) et l’inventaire sommaire est complété. L’analyse de ce matériel reste toutefois à entreprendre.

La collection ethnologique

La collection ethnologique se compose de 800 objets ayant appartenu à la famille Papineau. Tous les objets ont reçu un traitement de base (catalogage et étiquetage) et l’inventaire a été complété. Cependant, 256 objets restent cependant à documenter.

L’état physique de cette collection va de « très bon » à « passable ». Des soins particuliers d’entreposage et de monitoring s’avèrent nécessaires pour leur préservation, étant donné les matériaux qui les composent (meubles de placage, textiles,

État actuel
Manoir Papineau - État actuel
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© Parcs Canada

oeuvres sur toiles, sur papier, sur papier argentique, objets de métal, etc.). Une grande partie de ces objets, en particulier les meubles, ont été ou seront l’objet d’une restauration dans un avenir rapproché compte tenu de leur valeur de commémoration.

COMMUNICATION DES MESSAGES D’IMPORTANCE HISTORIQUE NATIONALE

Après avoir été fermé au public au cours de la saison 2000, en raison des travaux de conservation/restauration, le manoir Papineau a rouvert ses portes à l’été 2001. Jusqu’à présent, les efforts de mise en valeur ont surtout porté sur l’évocation du milieu de vie des Papineau par le biais de la décoration et l’ameublement du « noble étage ». Les visiteurs peuvent présentement effectuer une visite guidée du manoir (rez-de-chaussée seulement) où l’accent est mis sur l’historique de l’édifice et de son occupation ainsi que sur la vie quotidienne au temps des Papineau.

Une petite exposition thématique provisoire portant sur la seigneurie de Montebello a par ailleurs été aménagée au rez-de-chaussée du hangar à grains; pour des raisons de sécurité, l’ancien atelier de Napoléon Bourassa n’est toujours pas accessible au public. Si la chapelle funéraire peut être visitée en compagnie des guides de la société d’histoire Louis-Joseph-Papineau, le pavillon de thé, lui, n’est pas ouvert aux visiteurs. L’ancien musée familial, principalement réservé au culte, est accessible au public lors des présentations-causeries organisées par les guides-interprètes de Parcs Canada. En somme, les installations et les services d’interprétation in situ demeurent encore limités et incomplets14.

Il est à noter, par ailleurs, que les changements d’utilisation survenus dans le cas du musée familial et du hangar à grains, conjugués aux modifications profondes qu’ont subi les aménagements paysagers, font en sorte que ces ressources ont perdu leur signification en tant qu’ensemble cohérent et qu’elles ne réussissent pas à appuyer comme elles le devraient la communication de la thématique de commémoration.

Enfin, soulignons que les efforts de diffusion externe se sont essentiellement opérés jusqu’à présent via la mise en ligne, en 1999, d’un site Internet.


  1. À titre d’exemples, la thématique de commémoration associée à la personnalité de Louis-Joseph Papineau (défenseur des institutions canadiennes-françaises, penseur, homme de culture, maître-d’oeuvre du domaine seigneurial...) ainsi que les messages reliés à l’enracinement des Papineau dans le domaine seigneurial, au fonctionnement de la seigneurie etc. sont à peine esquissés, sinon passés sous silence. D’autre part, les moyens d’interprétation en place présentement ne peuvent répondre aux besoins des diverses catégories de public.

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